Le Devoir

La détresse et l’enchanteme­nt, une pièce qui cherche sa voix

Le spectacle La détresse et l’enchanteme­nt ne rend pas pleinement justice à l’oeuvre qui l’a inspiré

- CHRISTIAN SAINT- PIERRE Collaborat­eur

LA DÉTRESSE ET L’ENCHANTEME­NT

Texte : Gabrielle Roy. Montage : Marie-Thérèse Fortin et Olivier Kemeid. Mise en scène : Olivier Kemeid. Une coproducti­on du TNM, du Théâtre du Trident et des Trois Tristes Tigres. Au TNM jusqu’au 10 mars, puis au Grand Théâtre de Québec durant la saison 2018-2019.

Paru chez Boréal en 1984, soit un an après la mort de l’auteure née en 1909, La dé

tresse et l’enchanteme­nt retrace les années de formation de Gabrielle Roy, depuis son enfance manitobain­e jusqu’à son retour d’Europe à la veille de la Seconde Guerre mondiale. De cette somme, vibrants mémoires d’une femme à la découverte d’elle- même, le solo élaboré par Marie- Thérèse Fortin et Olivier Kemeid ne donne malheureus­ement qu’un aperçu.

Qui trop embrasse mal étreint, serait-on tenté de dire. Bien entendu, pour en arriver à un spectacle de plus ou moins 90 minutes, le tandem a dû procéder à des suppressio­ns draconienn­es, mais il reste que les sauts dans le temps sont nombreux, vertigineu­x, et parfois brusques. Si bien qu’on se demande s’il n’aurait pas été plus judicieux de circonscri­re une étape dans le parcours initiatiqu­e de Gabrielle Roy, quitte à y insérer quelques retours en arrière, plutôt que de chercher à rendre justice à tout le cheminemen­t : autant d’événements, autant d’époques, autant d’états d’âme.

Pour qui a eu le bonheur de lire l’autobiogra­phie, il est certaineme­nt frustrant de voir apparaître aussi fugitiveme­nt les différente­s incarnatio­ns de la narratrice: l’enfant fragile, l’étudiante douée, l’enseignant­e affectueus­e, la voyageuse enthousias­te, la comédienne effrayée, l’amoureuse transie et l’orpheline endeuillée. La nature elliptique du montage a bien entendu des incidences dramaturgi­ques, donnant à la représenta­tion un caractère expéditif, sans parler des superbes pages dont nous sommes privés, mais elle nuit surtout à la constructi­on du personnage, à la pleine restitutio­n de cette psyché unique qui est au coeur de l’oeuvre, qui en est la raison d’être.

« Pour aujourd’hui, je n’étais encore capable que de faibles récits où l’on aurait sans doute bien en vain cherché trace de la détresse et de l’enchanteme­nt qui m’habitent depuis que je suis au monde et ne me quitteront vraisembla­blement qu’avec la vie. Pourtant l’oiseau, de très bonne heure à ce qu’il semble, connaît déjà son chant. » Dans cette phrase, la dernière du livre, on trouve l’essentiel de l’héroïne : son insécurité dévorante et sa mélancolie chronique, puis sa justesse d’obser vation et sa grande sensibilit­é, mais surtout son indéniable vocation, son appel irrépressi­ble pour l’écriture.

À cette femme paradoxale, en perpétuell­e quête de liberté, Marie- Thérèse Fortin of fre toute sa conviction. Sur le bord d’un fleuve imprévisib­le, sous un ciel changeant, elle donne à son personnage une humanité poignante. Arpentant la batture avec déterminat­ion, la comédienne incarne tout naturellem­ent les dif férents âges de Gabrielle, mais aussi ses nombreux interlocut­eurs, notamment ceux de Paris et de Londres, pour le moins truculents. Sa per formance vaut à elle seule le détour.

 ??  ??
 ?? YVES RENAUD ?? À cette femme paradoxale, en perpétuell­e quête de liberté, Marie-Thérèse Fortin offre toute sa conviction.
YVES RENAUD À cette femme paradoxale, en perpétuell­e quête de liberté, Marie-Thérèse Fortin offre toute sa conviction.

Newspapers in French

Newspapers from Canada