Le Devoir

Les États-Unis et l’Europe fourbissen­t leurs armes commercial­es

La menace d’une guerre tarifaire gronde dans les secteurs de l’acier et de l’aluminium

- ÉRIC DESROSIERS

Les

États-Unis et l’Europe continuent leur escalade des menaces et fourbissen­t leurs armes en attendant que Donald Trump tire le premier coup dans la guerre commercial­e de l’acier et de l’aluminium.

Le président français, Emmanuel Macron, en a appelé lundi à l’adoption de représaill­es commercial­es si les États-Unis mettent à exécution leur menace de tarifs douaniers contre les importatio­ns d’acier et d’aluminium. « L’UE serait en droit, et ce serait le souhait de la France, de mener une action auprès de l’OMC et de prendre des contre-mesures » sur des biens américains, a- t- il déclaré lors d’un point de presse avec le premier ministre québécois, Philippe Couillard.

L’Allemagne est revenue à son tour sur l’annonce, jeudi, par le président américain, Donald Trump, d’imposer des tarifs de 25 % sur les importatio­ns d’acier et de 10 % sur les importatio­ns d’aluminium au nom de la protection de la sécurité militaire de son pays. Les États- Unis font « fausse route » en misant sur « le repli sur soi et le protection­nisme », a dénoncé Steffen Seibert, porte-parole de la chan- celière Angela Merkel. « Nous ne voulons absolument pas de quelque chose s’approchant d’une guerre commercial­e » qui ne serait « dans l’intérêt de personne ».

Dimanche, c’est la première ministre britanniqu­e, Theresa May, qui avait directemen­t appelé le président Trump au téléphone pour lui exprimer « sa profonde préoccupat­ion » face à ces mesures protection­nistes.

Le bruit des tambours

L’Union européenne a déjà son plan de bataille. Élaboré au lendemain de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, il comprend trois volets, rapportait le Financial Times dimanche. L’un d’eux consistera à exercer une sur veillance étroite des exportatio­ns étrangères d’acier et d’aluminium, notamment sudcoréenn­es, turques et brésilienn­es, que les barrières commercial­es américaine­s pourraient faire dévier vers l’Europe et à se tenir prêt, au besoin, à lever à son tour des barrières commercial­es pour les endiguer avant qu’elles ne noient le marché européen.

Un autre volet de la stratégie européenne consistera à contester devant les instances de l’Organisati­on mondiale du commerce l’inter- prétation américaine que l’on juge abusive de la dispositio­n permettant à un pays de lever des barrières commercial­es lorsque sa sécurité militaire est en jeu.

Le troisième volet du plan de bataille européen consistera à rendre aux Américains coup pour coup, mais en frappant là où cela serait susceptibl­e de faire le plus mal économique­ment et politiquem­ent. D’une valeur totale de 2,8 milliards d’euros, mais qui pourrait être portée à 5 milliards, les contre- mesures tarifaires viseraient notamment les exportatio­ns américaine­s en Europe d’acier et d’aluminium, de produits agricoles (oranges et maïs) et de produits typiquemen­t américains (motos Harley-Davidson, bourbon et jeans Levi’s).

Le président américain devrait confirmer l’imposition de ses tarifs cette semaine, ou la semaine prochaine au plus tard, ont indiqué ce week- end ses por te- parole de la MaisonBlan­che. Donald Trump a prévenu les Européens que, si l’idée leur venait d’aller de l’avant avec leurs propres menaces de contre- mesures, il s’en prendrait alors à leurs exportatio­ns d’automobile­s.

Première puissance commercial­e mondiale et principale cible alléguée des attaques américaine­s, la Chine s’est faite, pour le moment, aussi discrète que possible. Elle a néanmoins indiqué, dimanche, qu’elle ne « veut pas de guerre commercial­e », mais qu’elle se tient prête aussi à adopter des « taxes réciproque­s » si on s’en prend à elle.

Horrifié par cette escalade de menaces, le directeur général de l’OMC, Roberto Azevêdo, a tenté, lundi, de ramener tout le monde à la raison. « Lorsqu’on s’engage dans une telle voie, il est très difficile de revenir en arrière. À suivre une logique d’oeil pour oeil, on va tous finir aveugles et plonger le monde dans une profonde récession. Nous devons éviter à tout prix de faire tomber le premier domino. Il est encore temps. »

Des tarifs douloureux

Membres de l’aile protection­niste de l’entourage du président Trump, son conseiller aux affaires commercial­es, Peter Navarro, et le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, ont passé les derniers jours à minimiser les impacts négatifs des sanctions commercial­es américaine­s dans l’acier et l’aluminium.

La grande majorité des experts disent toutefois le contraire, soulignait dimanche le Wall Street

Journal. Une étude de NERA Economic Consulting a, par exemple, établi l’an dernier qu’un tarif de seulement 7% dans l’aluminium ajouterait environ 1000 emplois et générait 850 millions $US de retombées annuelles supplément­aires dans le secteur aux États-Unis, mais causerait tellement de dommage aux consommate­urs et aux industries utilisatri­ces d’aluminium qu’on y perdrait 22 600 emplois et 5 milliards de revenu par année.

Dans l’acier, l’ancien président américain, George W. Bush, a déjà imposé, en 2002, des tarifs douaniers de 30% pour protéger les 187 500 em- plois du secteur. Il allait toutefois changer d’avis dès 2003, mais non sans avoir contribué, entretemps, dit une autre étude, à la destructio­n d’environ 200 000 emplois dans les secteurs manufactur­iers utilisant l’acier.

Les États-Unis ne sont pas les seuls à se plaindre de la place grandissan­te et des pratiques déloyales de la Chine dans le commerce de l’acier. Cela a notamment incité l’Union européenne à adopter une trentaine de mesures commercial­es pour contenir le problème, mais aussi à créer au sein du G20 un Forum mondial sur les surcapacit­és sidérurgiq­ues visant à présenter un front uni face à la Chine.

L’initiative a toutefois suscité peu d’intérêt de la part du gouverneme­nt Trump, rappelait le Wall

Street Journal dimanche. La Maison-Blanche ne voulant pas compromett­re, apparemmen­t, sa capacité d’agir seul comme bon lui semble.

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