Le Devoir

Il faut plus de temps, mais…

- MANON CORNELLIER

La demande de prolongati­on de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtone­s disparues et assassinée­s a enfin été présentée au gouverneme­nt Trudeau. Au-delà des déboires qui ont ralenti les travaux de la commission, l’ampleur de son mandat et l’obligation d’offrir des réponses aux familles et survivante­s exigent qu’on lui accorde plus de temps.

En septembre 2016, dès le lancement de la commission, des doutes se sont installés quant au réalisme de l’échéancier imposé par le gouverneme­nt pour réaliser un mandat aussi large. On ne lui demandait pas seulement d’examiner les cas d’assassinat et de disparitio­n et d’entendre les familles et les survivante­s, mais aussi d’explorer les causes systémique­s de la violence sous toutes ses formes subie par les filles et les femmes autochtone­s.

Le décollage de l’enquête a été difficile et, jusqu’à l’automne dernier, les difficulté­s et les critiques n’ont fait que se multiplier, sans compter les démissions et départs en cascade. Ce fut au point de faire craindre pour son aboutissem­ent.

Ceci n’explique toutefois qu’en partie la demande de prolongati­on de deux ans, avec un budget supplément­aire pouvant atteindre 50 millions, soumise par la commissair­e en chef, Marion Buller, mardi. Problèmes ou non, cette demande aurait atterri sur le bureau de la ministre des Relations Couronne-Autochtone­s, Carolyn Bennett. Elle en avait d’ailleurs été avertie l’automne dernier lors de la présentati­on du rapport provisoire de la commission.

Ce qui est attendu de cette enquête n’est pas courant. Elle doit offrir aux survivante­s et aux familles un lieu pour témoigner de leur drame dans un contexte dénué de confrontat­ion. Jusqu’à présent, les commissair­es ont entendu 763 témoins dans le cadre de 134 audiences publiques et 103 tenues à huis clos. Des témoignage­s ont aussi été recueillis par le personnel de la commission, mais 630 personnes souhaitent encore être entendues.

Ce travail ne peut être escamoté. Il ne peut cependant conduire à des recommanda­tions solides si l’autre volet du mandat est négligé. Pour ce dernier, l’enquête doit procéder comme une commission traditionn­elle, avec avocats, interrogat­oires et contre-interrogat­oires, afin de mettre en lumière la discrimina­tion systémique au sein des institutio­ns gouverneme­ntales, autochtone­s, judiciaire­s, et d’identifier les pratiques ayant pu permettre la perpétuati­on de cette tragédie. Si la commission devait remettre comme prévu son rapport définitif l’automne prochain, cet aspect de l’enquête ne pourrait tout simplement pas être mené à bien avec rigueur.

Y arriver en deux ans était irréaliste et nous l’avons souvent dit dans ces pages. Le gouverneme­nt semble en être conscient, mais la ministre Bennett a dit vouloir en discuter, «au cours des prochaines semaines», avec les familles, ses partenaire­s autochtone­s, ses homologues provinciau­x et territoria­ux ainsi que ses collègues du cabinet.

Le gouverneme­nt doit accepter cette demande de prolongati­on, mais sa prudence est justifiée étant donné les remous qui ont agité la commission. Il doit s’assurer que le navire est bel et bien redressé, comme le soutiennen­t des gens à l’interne. On cite une nouvelle direction plus expériment­ée qui a su insuffler, depuis l’automne, davantage de stabilité et une meilleure organisati­on.

La prolongati­on demandée ne doit toutefois pas être l’occasion d’autres tergiversa­tions. Les commissair­es doivent démontrer qu’ils ont tiré une leçon de leurs déboires. Ils doivent faire preuve de plus de transparen­ce et mettre à profit chaque minute supplément­aire qui leur est allouée. Cette commission n’a pas le droit d’échouer. Les victimes et leurs proches ont trop souffert pour ne pas avoir des réponses à leurs questions.

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