Le Devoir

L’origine de mes origines

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La question a été posée gentiment par une dame aussi gentille que sa question… Aussitôt, ma pensée prit son envol. Qui suis-je ?

Méfiez-vous de la couleur de ma peau ou de mes yeux; même mon accent pourrait être trompeur. Je suis le mélange d’un «Tout» dont on ne peut jamais — ou presque — deviner les vraies origines.

Durant mes années «léonardois­es» (à Saint-Léonard, dans l’est de Montréal), je chérissais l’idée mythique d’appartenir à une descendanc­e sicilienne à cause de la résonance italienne de mon nom de famille. C’était une manière d’appartenir à un imposant clan de jeunes intouchabl­es de mon école secondaire.

Par la suite, mes années collégiale­s et universita­ires prirent leur cours. Soudaineme­nt, l’envie de me faire passer pour un Québécois devenait primordial­e. J’avais remplacé l’accent italo-montréalai­s par un accent d’universita­ire du Quartier latin. Je devenais de plus en plus politisé. Mes idoles n’étaient plus Marlon Brando et Robert De Niro, mais René Lévesque et Pierre Elliott Trudeau. Même que je lisais L’homme rapaillé de Miron dans le métro pour oublier un long trajet. Je n’étais ni indépendan­tiste ni fédéralist­e, mais j’avais, enfin, conscience des deux solitudes.

Aujourd’hui, j’ai un certain plaisir à déclarer que je suis né au Sénégal. C’est une façon d’affirmer mon universali­té. Pour les Haïtiens et les Africains, tout à coup, je deviens fascinant. Pour les Québécois de souche, je deviens exotique. Mais pour les Arabes, un Libanais-Sénégalais est nécessaire­ment un exilé dont les parents ont fait fortune en Afrique. Désormais, sur mon mur on trouve Malcolm X, Mohamed Ali et James Baldwin.

Lorsque je fais le bilan de mes origines, je ne sais plus où me poser la tête. Parfois, je me demande si le fait d’accumuler les origines représente un manque de confiance ou l’évasion d’une réalité que je ne supporte pas. Mais le temps me prouve, jour après jour, que ma manière d’être est la bonne; j’ai la chance de ne permettre à personne de me placer dans un cadre culturel bien précis et j’en profite. Suis-je un citoyen du monde ? Non, je n’aime pas cette idée. J’habite à Anjou.

La dame en question, vous vous en souvenez ? Elle m’avait demandé si j’étais Gaspésien.

J’ai beaucoup aimé ce compliment. Mais ce qui me ferait grandement plaisir, c’est qu’on me demande un jour si je suis un Madelinot pour que je puisse raconter mes histoires de soirées sous un ciel étoilé dans les dunes de Fatima — qui n’ont jamais eu lieu.

Nabil Tarhini, blogueur

Anjou, le 4 mars 2018

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