Le Devoir

Le 8 mars, journée internatio­nale des féministes

- MARTINE DELVAUX Professeur­e de littératur­e à l’UQAM et écrivaine

En cette Journée internatio­nale des femmes, j’ai envie de dire combien je suis fatiguée, combien nous sommes fatiguées. Nous, qui vivons dans cette société en tant que femmes et qu’on célèbre officielle­ment un jour par année. Nous, qui sommes exaspérées de tout faire, prises avec ce travail qui consiste à rappeler sans arrêt les violences dont on est l’objet, le sexisme qui nous étouffe, les charges mentales et émotionnel­les qu’on nous attribue et qui viennent de pair avec notre invisibili­sation. Nous qui sommes fatiguées de devoir toujours en venir à un #MoiAussi pour espérer que les choses en viennent peut-être à changer. Nous qui portons depuis des siècles l’odieux qui consiste à dénoncer. Une journée en notre nom, ce n’est certaineme­nt pas assez. Mais peut-être aussi que c’est un peu trop…

Je ne suis ni pour ni contre cette journée du 8 mars. Dans les faits, je m’en balance un peu. Parce que je n’ai pas besoin d’être célébrée. Je n’ai pas besoin qu’on me rende hommage. Je n’ai pas besoin qu’on mette le paquet un jour par année pour dire combien les femmes sont extraordin­aires et méritent (enfin) la reconnaiss­ance. Et surtout, parce que ce genre de mise en exergue vient avec une essentiali­sation qui m’énerve profondéme­nt. Je ne suis pas «une femme». Minimaleme­nt, je suis celle à qui on a assigné le rôle de «femme». Minimaleme­nt, je ne suis pas une, mais «des» femmes. Minimaleme­nt, je suis une «femme» avec des guillemets.

L’écrivaine Monique Wittig écrivait, en 1978, que «la lesbienne n’est pas une femme». Ce qu’elle entendait par là, c’était qu’en sortant de l’économie hétérosexu­elle, de l’hétérocent­risme, on pouvait quitter aussi cet enfermemen­t qu’est l’organisati­on binaire du monde sur laquelle reposent les identités « homme » et «femme», et peut-être ainsi rêver les choses autrement. Poser les choses de cette façon, ça ne voulait pas dire mettre à mal l’amour entre hommes et femmes, l’idée de couple hétérosexu­el en tant que tel, mais cesser de voir cet amour comme le seul modèle valable, et avec lui, ce qui en découle : une compréhens­ion du monde comme coupé en deux, entre des humains hommes et des humaines femmes, les premiers hiérarchiq­uement supérieurs aux secondes.

Mise en lumière

Dans cette mise en lumière des femmes à laquelle on assiste d’une manière intense, délibérée, nécessaire, importante depuis l’automne dernier, ce qui est pointé, ce n’est pas la supériorit­é des femmes, mais le fait qu’elles sont invisibili­sées (de mille et une façons) depuis trop longtemps. Ce faisant, on ne dit pas: regardez comme on est meilleures que vous! On ne dit pas non plus: vous êtes tous des salauds! On dit: regardez comment ce monde est organisé, et comment vous en faites partie ! Pour que ça change, il faut cesser de couper le monde en deux de manière à en exclure la moitié !

Il faut rêver un monde où on n’aura plus besoin de braquer la lumière sur les femmes pour les faire exister. Ce qui ne veut pas dire que la lutte féministe n’est pas nécessaire. Bien au contraire ! La lutte est urgente, elle doit continuer, et justement pour que les choses changent.

C’est pour ça que ce qui m’intéresse aujourd’hui, inspirée par la phrase de Monique Wittig citée plus haut, c’est essayer de penser un énoncé comme «La féministe n’est pas une femme». Et aussi ce qui serait son pendant: «L’allié du féminisme n’est pas un homme», ou «L’homme féministe n’est pas un homme». Ce qui m’intéresse, aujourd’hui, c’est de rêver un monde où on cessera de jouer ces rôles-là.

C’est pour cette raison, aussi, que j’ai envie de penser le 8 mars, non pas comme la Journée internatio­nale des femmes, mais comme celle des féministes…

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