Le Devoir

Les bonnes intentions ne suffiront pas

- MARIE MALAVOY HÉLÈNE DANEAULT LOUISE HAREL CHRISTIANE PELCHAT CAROLE THÉBERGE Pour le Comité des femmes de l’Amicale des anciens parlementa­ires

Le 8 mars est jour de mémoire, de bilan et de prospectiv­e sur la condition des femmes. Chez nous comme ailleurs dans le monde, nous traçons le portrait des avancées et des reculs, des problèmes et des défis qui concernent la moitié féminine du monde. En tant qu’anciennes parlementa­ires, nous nous préoccupon­s particuliè­rement de la place des femmes en politique. Nous avons certes constaté des progrès au cours des dernières décennies. Depuis l’obtention du droit de vote des femmes en 1940, celles-ci ont fait leur entrée à l’Assemblée nationale du Québec, imprimé leur marque sur nos lois et nos programmes publics, occupé les plus hautes fonctions. Pourtant, les acquis sont fragiles. Entre 2012 et 2014, nous perdions 5,6% de députées au Parlement. Comme quoi la progressio­n n’est pas linéaire et constante. Si nous n’y prenons garde et surtout si nous pensons que la situation s’améliorera d’elle-même, par un mouvement naturel de l’histoire, nous irons au-devant de bien des déceptions.

C’est pourquoi nous défendons l’idée d’une loi sur la parité. Le 6 décembre dernier, nous présention­s un mémoire à la Commission des relations avec les citoyens comportant une propositio­n en deux volets : le premier contiendra­it l’obligation pour chaque parti politique de présenter au moins 40% de femmes lors d’une élection. Nous nous situons dans ce qu’on appelle la « zone paritaire », fixée entre 40 % et 60 % de candidatur­es féminines. Le deuxième volet du projet de loi inclurait une bonificati­on par le Directeur général des élections, du financemen­t des partis politiques qui ont atteint l’objectif de 40 % de femmes élues à l’Assemblée nationale. Cela est d’autant plus envisageab­le que ce financemen­t provient maintenant à près de 80 % de fonds publics.

Créer une norme

Notre raisonneme­nt est le suivant: une loi sur la parité créerait une norme, elle indiquerai­t la voie à suivre collective­ment et servirait de guide aux partis politiques, au-delà des efforts de personnes ou de groupes gagnés à la cause. Par exemple, c’est le même principe qui fut à l’origine de la Loi sur l’équité salariale, enviée par bien des pays dans le monde. Au lieu d’attendre que des femmes qui s’estiment lésées déposent une plainte au nom des droits et libertés de la personne, la loi est venue créer une obligation d’équité de la part des entreprise­s, renversant ainsi le fardeau de la preuve.

De la même manière, nous pensons qu’une loi sur la parité enverrait un signal clair que la société québécoise veut un Parlement paritaire et que les moyens doivent être pris pour y parvenir. Cela aurait un effet mobilisate­ur sur les femmes et les confortera­it dans l’idée qu’un Parlement, c’est aussi leur place à elles. Car il ne faut pas se le cacher. L’un des obstacles importants à l’entrée des femmes en politique, c’est la piètre qualité de leur perception du pouvoir. Presque exclusivem­ent exercé par les hommes pendant des siècles, le pouvoir a établi ses codes, ses règles, ses armes, son langage, sa culture. Pendant ce temps, les femmes, consacrées à l’univers domestique, ont peu développé le goût d’investir la sphère publique. Lorsqu’elles se sont mises à embrasser toutes les profession­s, à prouver leurs compétence­s dans tous les métiers, elles sont demeurées toutefois aux portes du pouvoir. Ce n’est que récemment, il y a à peine quelques décennies, qu’elles ont commencé à franchir ces portes. Si elles y ont pris leur place, fait leur marque, pourtant, le monde du pouvoir demeure pour un grand nombre associé à des valeurs souvent négatives, peu inspirante­s.

La Commission des relations avec les citoyens que nous avons évoquée plus haut doit déposer sous peu son rapport sur la place des femmes en politique. Espérons que celui-ci aura un peu de mordant et ne se contentera pas de proposer des aménagemen­ts à la vie parlementa­ire. Ceux-ci pourront avoir un effet bénéfique une fois des députées élues, mais ils ne suffiront pas à vaincre leur résistance face au pouvoir. Ce qui peut contribuer plus profondéme­nt à rendre l’univers politique attirant pour les femmes, c’est de prendre les moyens pour qu’elles y soient à part entière, convaincue­s que c’est normal et que cela ne fait que refléter la compositio­n de la société. Pour cela, il faut envisager des mesures législativ­es.

On le voit déjà, nous sommes en précampagn­e électorale, terrain propice aux déclaratio­ns de bonnes intentions qui sortent de terre comme les fleurs du printemps. Tous les chefs de parti vous diront qu’ils sont pour la parité et qu’ils font des efforts désespérés pour attirer des femmes dans leurs rangs. Tant mieux si cela porte ses fruits. Nous les invitons toutefois à doter la société québécoise d’une loi sur la parité qui s’inscrira dans la durée, transcenda­nt les humeurs des dirigeants et les idées à la mode.

Les femmes constituen­t la moitié du monde. Elles doivent constituer la moitié des parlements.

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