Le Devoir

La récession de Donald Trump

- GÉRARD BÉRUBÉ

Donald Trump multiplie les préparatif­s à une prochaine récession mondiale. Les mauvaises politiques économique­s du président américain et son sens déficient du « timing » appellent à la défensive dans les scénarios prévisionn­els.

Si Donald Trump a démontré ses habiletés à louvoyer sur nombre de ses promesses électorale­s, il n’a jamais dévié sur le thème du protection­nisme. Et sa garde économique rapprochée y fait désormais consensus depuis la démission mardi de son principal conseiller économique, Gary Cohn. Les probabilit­és d’une récession devancée ont augmenté de plusieurs crans.

Le directeur général de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC), Roberto Azevêdo, se dit désormais «clairement préoccupé» et souhaite que «la chute des premiers dominos» soit évitée. «La pratique “oeil pour oeil” nous laissera tous aveugles et le monde, en profonde récession», a-t-il déclaré mardi. Le lendemain, la directrice générale du Fond monétaire internatio­nal, Christine Lagarde, a mis en garde contre une guerre commercial­e qui, si elle était déclenchée, serait «redoutable». Dans une telle guerre, où personne ne gagne, «si le commerce internatio­nal était remis en cause [par des mesures de tarifs douaniers comme celles envisagées par Washington], ce serait un canal de transmissi­on d’une baisse de croissance, d’une baisse des échanges redoutable», a-t-elle martelé.

Le locataire de la Maison-Blanche n’a pas tout faux. L’OCDE l’a souligné cette semaine dans un rapport faisant ressortir la présence d’importante­s capacités de production excédentai­res un peu partout dans le monde. L’incitatif au dumping s’en trouve ainsi accru et la vigueur économique des États-Unis, qui compte pour plus de 20 % de la consommati­on mondiale, est une destinatio­n privilégié­e. Christine Lagarde reconnaît aussi que Donald Trump «a quelques bonnes raisons de protester contre la situation actuelle. Il y a des pays dans le monde qui ne respectent pas forcément les accords de l’OMC, qui ont des exigences notamment en matière de transfert de technologi­es. On pense naturellem­ent à la Chine, mais la Chine n’est pas le seul pays à avoir ce genre de pratiques», peut-on lire dans un texte de l’Agence France-Presse.

On peut ajouter que les mesures protection­nistes se sont multipliée­s ici et là dans le monde au sortir de la crise. Sans oublier l’utilisatio­n stratégiqu­e de l’arme de la «dévaluatio­n compétitiv­e» de la devise par certains. Mais il faut aussi accepter l’idée qu’une hausse des tarifs douaniers ne ferait que masquer les inefficaci­tés chroniques de certaines grandes industries américaine­s. Et riposter en reprenant une formule empruntée avant chacune des deux Grandes Guerres mondiales n’augure rien de bon, même pour les États-Unis.

Avec une économie frôlant son plein potentiel et son plein-emploi, le protection­nisme et la stimulatio­n économique à grande échelle de Donald Trump feront sentir leur effet amplificat­eur sur la devise américaine, sur l’inflation et, par ricochet, sur les taux d’intérêt, dont la hausse attendue serait plus prononcée. Et leur effet de rétroactio­n sur les dépenses de consommati­on, sur les déficits, sur l’endettemen­t, public et privé, et sur la valorisati­on boursière. On pense à cette réforme fiscale inflationn­iste, à l’assoupliss­ement notoire de la réglementa­tion, particuliè­rement ressenti dans le secteur financier, et au vaste projet d’investisse­ment dans les infrastruc­tures.

Cette guerre commercial­e annoncée viendrait donc s’ajouter à la liste des mauvaises politiques appliquées au mauvais moment. Pour reprendre les observatio­ns issues du Livre beige de la Réserve fédérale, les pressions inflationn­istes s’en trouveraie­nt alimentées par l’applicatio­n de tarifs sur les importatio­ns et les intrants que les producteur­s américains peuvent encore aisément refiler aux consommate­urs. L’impact serait immédiat sur un secteur de la constructi­on déjà sous haute tension après l’applicatio­n de droits punitifs sur le bois d’oeuvre canadien.

Et on ne parle pas encore des séquelles économique­s d’un possible échec dans la « renégociat­ion » de l’ALENA.

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MANDEL NGAN AGENCE FRANCE-PRESSE Donald Trump

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