Une responsabilité partagée contre les fausses nouvelles
Des experts réunis au colloque Les Tablettistes à Ottawa se sont intéressés à la question de la littératie numérique
Aux yeux du sous-ministre ontarien de l’Éducation, Bruce Rodrigues, il est essentiel que les jeunes générations soient formées de manière à pouvoir démasquer les fausses nouvelles qui fourmillent en ligne. Mais si selon lui l’État doit prendre une part de cette responsabilité, il estime que les médias et les élèves eux-mêmes devront mettre la main à la pâte.
«Pour reprendre ce qui s’est dit à la Commission de vérité et réconciliation, l’éducation guérit, a expliqué au Devoir M. Rodrigues lors du colloque Les Tablettistes, portant sur l’éducation et le numérique et organisé par Groupe Média TFO. On doit pouvoir épauler les jeunes pour qu’ils soient capables de déterminer ce qui est vrai.»
Dans ce «combat» de la littératie numérique, il avoue qu’il faudra mieux équiper les professeurs. «Cela dit, on n’est pas les seuls là-dedans.» Selon lui, non seulement les élèves devront y mettre du leur, «avec leurs expériences» d’utilisateurs, mais les gouvernements devront «faire équipe avec les médias, pour qu’ils nous enseignent comment ils font leur travail, comment ils font du reportage et ce qui nous manque : où est la ligne entre le vrai et le faux».
Du côté de Catherine Cano, présidente et directrice générale de CPAC, l’intérêt est au rendez-vous. «Il faut contribuer à l’apprentissage des jeunes, croit l’ancienne patronne de RDI. Plus on peut leur permettre de comprendre tôt leur rôle démocratique, les enjeux [de l’information], plus il y a de chance qu’ils développent un esprit critique. »
Sous le capot
Mais aux yeux d’Eugénie Congi, surintendante de l’éducation au Conseil des écoles catholiques centre-est, en Ontario, «pour être habile dans les compétences informationnelles purement techniques, il faut développer des compétences globales, au niveau de la pensée critique. Ce sont les apprentissages en profondeur qui vont faire que les jeunes et les moins jeunes peuvent être des citoyens numériques éclairés ».
Il serait donc important dans le développement de la littératie numérique de ne pas en rester aux usages, estime Samuel Nowakowski, chercheur à l’Université de Lorraine. Il ne suffit pas à ses yeux de connaître les possibilités inégalables de nos téléphones intelligents, il faut aussi «rentrer dans cette culture scientifique ou technique, et faire comprendre comment ces appareils fonctionnent, soulever le capot! Sinon, il y a le risque de se livrer pieds et mains liés aux grandes compagnies de l’Internet.»
Quant à un possible encadrement légal contre les fausses nouvelles, comme ce qu’est en train de mettre sur pied la France, elle semblerait ardue, voire impossible au Canada, selon Charles Moumouni, professeur au Département d’information et de communication de l’Université Laval. «Les fake news font partie de la liberté d’expression, qui est garantie par les chartes des droits et libertés au Canada, croit-il. Et les tribunaux ont mis la barre très haute» pour la limitation de celle-ci, soulignant une « tradition de liberté fondamentale». L’éducation est selon lui la voie à suivre. Évoquant Socrate, M. Moumouni a suggéré d'« utiliser la raison, la conscience, la logique pour éclairer les étudiants, c’est très important.»