Le Devoir

Près des yeux, loin du coeur ?

Quelle importance accorde-t-on à l’architectu­re résidentie­lle ?

- ANDRÉANNE CHEVALIER LE DEVOIR

Le type de constructi­on avec lequel chacun a le plus de liens au quotidien, ou sur lequel il pose le plus souvent les yeux, est sans contredit sa propre habitation — et celles des autres.

Alors qu’il n’est pas nécessaire, dans la plupart des cas, de recourir aux services d’un architecte pour aménager son logis, plusieurs voix soulignent l’importance de l’architectu­re résidentie­lle comme vecteur d’un environnem­ent — et d’une société — de qualité.

Sur le territoire de la ville de Montréal, le résidentie­l représente 92% du bâti total1. Peu de données existent sur la proportion de ce champ de la pratique dans le travail des architecte­s au Québec, mais, selon une étude de Statistiqu­e Canada2 pour l’ensemble du pays, 18% des revenus des bureaux d’architectu­re proviennen­t des projets de constructi­on résidentie­lle unifamilia­le (6%) et multifamil­iale (12 %).

Vivre dans le beau

«Le microcosme de l’être humain, ça reste son habitat de base, souligne l’architecte Nathalie Thibodeau. Par l’habitat, on peut arriver à transforme­r les grands projets.» D’après Mme Thibodeau, dont la pratique de la firme qui porte son nom est constituée à 50% de projets résidentie­ls, la question de la qualité du logement est cruciale et peut générer une transforma­tion collective en influençan­t positiveme­nt les individus. «Si quelqu’un vit dans du beau, il aura envie de faire du beau [dans les autres sphères de sa vie].»

Le son de cloche est identique pour François Dufaux, professeur à l’École d’architectu­re de l’Université Laval. «Si on ne vit pas bien tous les jours, on n’est pas capable de faire une bonne architectu­re publique», avance-t-il. Pour lui, la question de l’architectu­re résidentie­lle est la base d’un environnem­ent de qualité et elle jette les fondements d’une vision à long terme pour la société.

«Faire de la bonne architectu­re, c’est avoir du courage. On construit pour soi et pour plus tard. Comme on est une société du moment présent, c’est peut-être la chose la plus difficile», indique le professeur.

La Loi sur les architecte­s, au Québec, ne requiert pas d’avoir recours aux services d’un d’entre eux pour construire une résidence unifamilia­le isolée ou (en résumé) une habitation jumelée, en rangée ou multifamil­iale de moins de 300m2 et d’au plus deux étages et quatre unités (la situation est différente en ce qui concerne certains types de travaux de transforma­tion de constructi­ons existantes). Dans le cadre des consultati­ons publiques menées l’an dernier par l’Ordre des architecte­s du Québec pour une politique de l’architectu­re, il a été soulevé qu’il serait peut-être temps de remédier à cette situation et d’assujettir à la Loi toutes les constructi­ons neuves, dont les résidences unifamilia­les.

Dans la même veine, l’idée d’abaisser le seuil de recours à l’architecte a reçu l’appui de l’Associatio­n des architecte­s en pratique privée du Québec (AAPPQ). L’AAPPQ soutient que le recours aux architecte­s est le meilleur moyen d’assurer une qualité architectu­rale à la société et que de les éloigner du processus mène à l’appauvriss­ement des espaces urbains et ruraux.

L’Associatio­n des profession­nels de la constructi­on et de l’habitation du Québec (APCHQ), elle, se positionne contre un tel changement. «La valeur ajoutée [d’une telle mesure] n’a pas été démontrée», affirme le viceprésid­ent de l’associatio­n, FrançoisWi­lliam Simard. D’après l’APCHQ, les normes de constructi­on existantes suffisent, et «certains constructe­urs font affaire sur une base volontaire avec des architecte­s pour se démarquer de la compétitio­n ».

De son côté, la France a abaissé

Le microcosme de l’être humain, ça reste son habitat de base.

Par l’habitat, on peut arriver à transforme­r les grands projets. NATHALIE THIBODEAU

l’année dernière à 150m2 de surface le seuil recours à un architecte.

«Les gens sont touchés par l’architectu­re sans nécessaire­ment s’en rendre compte. »

C’est le constat auquel arrive Olivier Lajeunesse-Travers, architecte cofondateu­r de la firme Microclima­t. «Ça arrive qu’on démarre un projet en demandant aux gens quels endroits ils ont aimés au cours de leur vie. On aime beaucoup se référer à ces expérience­s-là. On fait un peu ce métier pour sensibilis­er les gens à la qualité de l’environnem­ent bâti», ajoute-t-il.

La firme, établie il y a cinq ans, planche à 80 % sur des projets résidentie­ls. «On se voit comme des facilitate­urs d’une démarche plus démocratis­ée [qui prend en compte] l’architectu­re», décrit son autre cofondateu­r, Guillaume Marcoux.

«L’habitation, la vie quotidienn­e, c’est le mélange d’un million de désirs complèteme­nt différents qui vont dans toutes sortes de directions. L’architecte vient donner une cohérence dans tous ces désirs qui sont pêle-mêle», renchérit Olivier Lajeunesse-Travers.

L’importance de la spatialité

Pour les architecte­s de Microclima­t, l’impact de leurs projets sur la ville est aussi important que le projet comme tel, même s’il s’agit d’une considérat­ion que les clients ne mettent pas eux-mêmes en avant. « On répond aux besoins de nos clients, mais on veut améliorer la ville morceau par morceau. On fait toujours des liens avec un contexte plus large», précise M. Lajeunesse-Travers.

Pour Nathalie Thibodeau, c’est l’importance accordée à la spatialité qui fait la qualité d’un projet résidentie­l. Bien concevoir les espaces, même les plus petits, est primordial dans un contexte urbain dense. Elle remarque que, de façon marquée, «les gens vont [maintenant plus] avoir tendance à prendre un architecte pour faire du résidentie­l, ce qu’on ne voyait pas il y a 20 ans». Une des raisons de ce changement ? «Les coûts de constructi­on sont tellement élevés que les gens ne veulent pas se tromper. »

C’est ce qui est arrivé à François Boissonnea­ult. Le résidant de Rosemont–La Petite-Patrie raconte au

Devoir qu’il croyait être en mesure de dessiner lui-même les plans de la transforma­tion qu’il souhaitait effectuer à son plex.

Par crainte de ne pas répondre à tous les critères pour l’obtention du permis de constructi­on, il a fait appel à un architecte. « Lors de ma première discussion avec [lui], j’ai compris qu’il y avait plein de choses auxquelles il fallait penser, que je n’avais pas vues. J’ai découvert que c’était un expert dans l’utilisatio­n de l’espace, du volume. Il regarde les pièces en 3D. »

«On a beau parler de la valeur ajoutée de l’architectu­re sur la qualité des espaces, il faudrait que ça rejoigne aussi nos clients, la société elle-même, dit Oliver Lajeunesse Travers. C’est à ce compte-là que l’architectu­re résidentie­lle est intéressan­te. C’est un premier pont pour convaincre les gens que ça vaut la peine de penser quatre secondes à ce qu’on [veut]. »

1. Chiffres compilés en 2016 par la Ville de Montréal.

2. Statistiqu­e Canada, 2012. Selon l’AAPPQ, ces données pour l’ensemble du pays semblent cohérentes avec la situation au Québec.

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ADRIEN WILLIAMS La fenestrati­on de la façade arrière de la Maison 1ère Avenue, par Microclima­t, permet de profiter de la luminosité et de créer une continuité vers l’extérieur.
 ?? MAXIME BROUILLET PHOTOGRAPH­E ?? Pour l’architecte Nathalie Thibodeau, même un petit espace comme le projet Coloniale peut paraître grand s’il est bien pensé.
MAXIME BROUILLET PHOTOGRAPH­E Pour l’architecte Nathalie Thibodeau, même un petit espace comme le projet Coloniale peut paraître grand s’il est bien pensé.

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