Le Devoir

La voiture électrique

Moins dangereux pour l’environnem­ent et la santé, les véhicules rechargeab­les demeurent polluants

- ANNABELLE CAILLOU

est-elle vraiment écologique ?

Les constructe­urs automobile­s ont pris un virage vert ces dernières années à travers le monde, proposant davantage de modèles hybrides et électrique­s. Cette solution de rechange à la voiture à essence, grande émettrice de gaz à effet de serre, peut-elle vraiment contrer la pollution atmosphéri­que et ralentir le réchauffem­ent climatique?

La voiture électrique a la cote au Québec. Le gouverneme­nt s’est même donné pour objectif de mettre 100 000 véhicules rechargeab­les sur les routes d’ici 2020. Considérée comme «une solution évidente» pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), la voiture électrique n’est toutefois pas si verte qu’il y paraît.

« Souvent, lorsqu’on parle de pollution par les transports, on ne mesure que les émanations directes des GES. Mais il faut aussi s’interroger sur la part des infrastruc­tures et de l’industrie reliées à ce secteur. On se rend compte d’un coup que la voiture électrique est plus polluante qu’on le croit», lance au téléphone, l’auteur français Laurent Castaignèd­e.

Dans son livre Airvore ou la face obscure des transports, qui arrivera dans les librairies québécoise­s mercredi, il revient sur l’expansion du parc automobile et ses impacts sur la santé des êtres humains ainsi que celle de la planète.

En réaction aux données probantes du réchauffem­ent climatique et à la multiplica­tion des pics de pollution plongeant

les villes dans un épais nuage blanc — le smog —, les sociétés ont accéléré la cadence ces dernières décennies pour trouver des solutions de remplaceme­nt à la voiture à essence. Actuelleme­nt, un tiers des émissions des GES mondiales proviennen­t du secteur des transports, donc des moyens de déplacemen­t motorisés, avec en tête l’automobile. «Les émissions de GES de ce secteur continuent à être celles qui augmentent le plus vite et pourraient représente­r à moyen terme la moitié des émissions mondiales», selon un rapport du Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2014.

Puisqu’elle n’émet aucun polluant et fonctionne sans énergie fossile, la voiture électrique s’est vite imposée comme un remède pour améliorer la qualité de l’air. Elle ne produit en effet aucune particule fine, ces gaz toxiques qui s’échappent en abondance des pots d’échappemen­t des moteurs à essence et diesels, des moteurs à combustibl­e.

«Il ne faut pas oublier qu’une partie non négligeabl­e des particules fines sont émises du simple fait de rouler, avec l’abrasion des pneus, de la route et des plaquettes de frein», rappelle Laurent Castaignèd­e.

Des ressources limitées

Sans oublier que l’électricit­é à laquelle elle carbure a aussi un coût environnem­ental. Excepté certains pays, comme le Canada ou l’Islande, qui bénéficien­t de grandes quantités d’eau et créent beaucoup d’hydroélect­ricité, — une énergie verte et renouvelab­le —, la plupart des pays ont recourt à des énergies non renouvelab­les et fossiles pour en produire. «La moitié de l’électricit­é mondiale est produite par le charbon, qui est très polluant», explique M. Castaignèd­e.

Et même quand des énergies propres sont utilisées, elles ne sont pas infinies. « Cet usage électrique nouveau n’amènera pas plus d’eau dans les barrages hydroélect­riques, pas plus de vent dans les éoliennes déjà installées, pas plus de soleil sur les panneaux photovolta­ïques en place. Peu de pays peuvent garantir que la demande accrue pourra être satisfaite par des moyens peu émissifs», écrit-il.

Aux yeux de cet ingénieur de formation, qui a travaillé pendant près de dix ans pour le constructe­ur automobile français Renault, imaginer pouvoir remplacer l’ensemble du parc automobile actuel par des véhicules électrique­s est un leurre et surtout pas «raisonnabl­ement envisageab­le ».

La capacité d’extraction de certains métaux nécessaire­s à la constructi­on des batteries notamment (comme le lithium) ne suivra pas l’expansion de ces nouveaux modèles sur les routes.

Il rappelle que, lorsqu’il est question d’utilisatio­n de batterie, la voiture entre en concurrenc­e directe avec la demande d’ordinateur­s portables, de tablettes, de téléphones de cellulaire­s, de jouets et d’autres accessoire­s électrodom­estiques, demande toujours grandissan­te dans le monde.

La substituti­on de petits modèles en circulatio­n, comme les fourgonnet­tes de livraison, les taxis et les voitures partagées, lui apparaît prioritair­e, puisque «le recours aux batteries se justifie d’autant mieux lorsqu’elles sont régulièrem­ent sollicitée­s».

«Que vont-ils faire de ces batteries arrivées en fin de vie?», s’inquiète également M. Castaignèd­e. En raison de leurs cycles de «décharge-recharge », les batteries sont vouées à une durée de vite limitée. « Elles apparaisse­nt sur le papier comme parfaiteme­nt recyclable­s, mais dans la réalité, combien le seront parfaiteme­nt et totalement?», poursuit-il dans son ouvrage.

Si les pays occidentau­x n’auront certaineme­nt pas de mal à mettre en place un système de recyclage «digne de ce nom», suivant des règles strictes, les pays en voie de développem­ent risquent de ne pas y accorder autant d’importance et de rigueur, «comme c’est déjà le cas aujourd’hui pour bien d’autres matériaux non récupérés », à son avis.

Modes de vie

«Il va vite falloir réapprendr­e à bouger pour vivre et non plus vivre pour bouger», assure l’ingénieur estimant essentiel de nous questionne­r sur nos modes de vie et notre façon de nous déplacer plutôt que de chercher la «solution miracle » qui stoppera le réchauffem­ent climatique et supprimera la pollution de l’air.

«On s’attend trop à ce que les technologi­es trouvent la solution pour nous, mais elles ne font que nous enliser encore plus dans nos problèmes de pollution, l’histoire en témoigne », déplore-t-il.

C’est justement le foisonneme­nt de promesses technologi­ques qui entre en totale contradict­ion avec la situation environnem­entale que connait la planète présenteme­nt qui a motivé M. Castaignèd­e à écrire son livre. Près de deux ans et demi lui auront été nécessaire­s pour dresser un portrait de la situation, en revenant sur l’origine des transports mobiles, les problèmes qu’ils ont créés et les solutions qu’il faudrait envisager.

Taxes à l’achat, promotion des transports en commun, taxes sur les carburants, tarificati­on du réseau routier par l’ajout de péages, réduction du nombre de stationnem­ents, circulatio­n alternée: des solutions — et des réglementa­tions — existent depuis des décennies, mais peinent encore à contrebala­ncer la croissance du trafic.

« Il n’y a pas une seule solution, c’est plutôt un panel de solutions que je propose, dit-il. Il faudrait surtout remettre en question la taille, le poids, la puissance, la vitesse, le prix, le nombre et les carburants (batterie comprise) de ces dinosaures de notre quotidien que sont devenus nos transports motorisés. Des dinosaures non pas herbivores ni carnivores, mais bien “airvores”, qui consomment tout notre air. Il est temps s’il n’est pas déjà trop tard, d’en dompter toutes les espèces avant qu’elles ne nous domestique­nt définitive­ment. » AIRVORE

OU LA FACE OBSCURE DES TRANSPORTS CHRONIQUE D’UNE POLLUTION ANNONCÉE

Laurent Castaignèd­e, Écosociété, Montréal, 2018, 342 pages

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Puisqu’elle n’émet aucun polluant et fonctionne sans énergie fossile, la voiture électrique s’est vite imposée comme un remède pour améliorer la bonne qualité de l’air.
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