Des déboires qui alarment les employés
Un rapport éclaire les problèmes de retards qui nuisent à l’image et à la crédibilité de l’organisme
L’inefficacité et les longs délais de traitement des plaintes inquiètent des employés de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), qui disent craindre pour la réputation de l’organisme. C’est ce que révèle un rapport accablant commandé par Tamara Thermitus, à son arrivée à la présidence il y a un an.
Réalisé en avril 2017 par le consultant Jean-Pierre Hotte, le «diagnostic organisationnel» décrit la CDPDJ comme une organisation avec une grande expertise, mais «bureaucratique», «figée», «sclérosée», qui ne s’est pas bien adaptée à la modernité. «On observe un manque d’efficacité, d’efficience, bref, une nécessité d’accroître la performance organisationnelle», lit-on dans ce rapport, réalisé à la suite d’«entrevues semi-structurées» avec dix employés de la Commission faisant partie de la structure de la présidence. Des phrases telles que «l’agilité ne serait pas une force» et «on
évolue très lentement» ponctuent le rapport.
La plupart des employés rencontrés sont préoccupés par l’image de la Commission et la perception qu’en ont les médias, le gouvernement et la population. «On ne peut se permettre de tels délais, on perd de la crédibilité. » Il y a deux semaines, Le Devoir rapportait que les délais dans le traitement des plaintes du public atteignaient des «records».
Selon le Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), certains s’étaient étirés au-delà de sept ans, notamment dans un cas de discrimination raciale à l’embauche et d’une plainte pour profilage racial. Une mère de la Montérégie avait pour sa part confié être toujours en attente d’une décision pour une plainte de discrimination à l’endroit de ses enfants qu’elle a déposée il y a plus de quatre ans. Elle disait craindre les conséquences néfastes découlant des longs délais.
Problème de service à la clientèle
« On demande aux autres de faire ce qu’on ne fait pas nous-mêmes.» Cette phrase entendue par le consultant renvoie au problème de la qualité des services offerts par la Commission elle-même. Le rapport fait effectivement état d’«un nombre important de plaintes» faites à son service à la clientèle, soit environ 60 par année pour les trois dernières années. Il y a quatre ans, il y a même eu 120 plaintes en une seule année, a constaté Le Devoir. « Le système actuel présente certaines “failles”», a fait remarquer M. Hotte. Ainsi, les plaintes sur la qualité du service ne seraient même pas centralisées vers une seule personne.
Dans son dernier rapport annuel 2016-2017, la Commission reconnaît qu’elle n’a pas de système efficace pour évaluer l’ensemble des services qu’elle rend, la qualité ne consistant pour le moment qu’à traiter les plaintes et rien d’autre. Elle dit toutefois vouloir s’attaquer à ce problème — et à celui de réduire les délais de traitement des dossiers pour discrimination — et soutient qu’il figure parmi les priorités de son Plan stratégique 2015-2019.
Or, ce même plan stratégique est critiqué par les employés, qui déplorent qu’il ne contienne pas de cibles à atteindre. «Plusieurs apprécieraient une culture de résultats plus précise. » Ils remettent aussi en question la pertinence que ce plan ait 14 comités de suivi, un nombre jugé « incroyable ».
Trop de postes?
Le rapport évoque aussi de nombreux problèmes de dédoublements de fonctions et souligne la lourdeur de la structure de la présidence qui comprend trois paliers d’encadrement: une présidence, deux vice-présidences et six directions autour desquelles gravitent d’autres postes d’adjoints, de techniciens et un de cadre-conseil. Ce dernier, qui joue un rôle d’intermédiaire entre les directions et la présidence, est très critiqué et ne serait pas « justifi[é] », de l’avis du consultant.
La CDPDJ, qui emploie 155 personnes, a été comparée à d’autres organisations similaires qui semblent fonctionner dans des structures moins lourdes. À titre d’exemple, 133 personnes travaillent au Protecteur du citoyen et celui-ci n’a qu’une seule personne au bureau de la présidence. Le Curateur public a, à l’instar de la Commission, six directions sous sa responsabilité, mais pour 668 employés.
Il n’a pas été possible d’obtenir de savoir si les recommandations précises de ce diagnostic organisationnel, comme ne pas nommer de nouveaux cadres ou de supprimer certains postes se dédoublant, ont été suivies. La CDPDJ n’a pas été en mesure de faire de commentaires dans les délais accordés. Toutefois, il y a deux semaines, le nouveau viceprésident, Philippe-André Tessier, avait reconnu la longueur du traitement des plaintes et avait affirmé que c’était une priorité pour son organisation.
Du mouvement
Depuis la production du rapport Hotte il y a environ un an, d’importants mouvements de personnel ont été constatés. À commencer par la présidente Tamara Thermitus, qui est en congé maladie depuis le 25 octobre. L’intérim est assuré par le vice-président Camil Picard, et l’autre poste de vice-président demeuré vacant a été pourvu par M. Tessier en décembre. Sur six postes de directions, un seul a gardé son titulaire.
Rappelons qu’une crise interne secoue l’organisation depuis l’arrivée à la présidence de Mme Thermitus. À la suite de plaintes, notamment pour abus d’autorité, un rapport d’enquête du Protecteur du citoyen a été remis à la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, à la fin novembre. Un second rapport, cette fois un diagnostic organisationnel effectué par l’exsous-ministre Lise Verreault, lui a été remis en décembre. Le gouvernement n’a pas encore indiqué ce qu’il entendait faire dans le dossier.