Le Devoir

L’Ordre s’engage à resserrer les règles de rémunérati­on

- SARAH R. CHAMPAGNE

L’Ordre des agronomes du Québec (OAQ) change de ton à propos de l’encadremen­t des pesticides. Une enquête sur la rémunérati­on des agronomes permettra d’établir des directives plus strictes pour ceux qui recommande­nt l’utilisatio­n de pesticides tout en retirant des bénéfices de leur vente.

L’Ordre refuse toutefois d’interdire à ses membres liés à l’industrie des pesticides de «prescrire» leur utilisatio­n, malgré une propositio­n appuyée par plusieurs agronomes lors de la dernière assemblée générale annuelle.

Dans une lettre ouverte diffusée lundi, le président de l’OAQ, Michel Duval, se veut rassurant. Lors de l’annonce du nouvel encadremen­t, il avait affirmé ne pas voir «d’indices de problèmes majeurs» en matière de conflit d’intérêts. Il assure maintenant que «des correction­s devront être faites» et qu’il prend «très au sérieux la problémati­que du conflit d’intérêts problémati­que».

La majorité des agronomes travaillan­t dans le domaine de la protection des plantes sont en effet liés à l’industrie des pesticides, de l’aveu même de l’OAQ. Or, Québec vient de leur confier le rôle névralgiqu­e de « prescrire » ou non aux producteur­s agricoles les cinq pesticides considérés comme les plus dangereux pour la santé humaine et pour l’environnem­ent: trois types de néonicotin­oïdes, ces insecticid­es «tueurs d’abeilles», l’atrazine et le chlorpyrif­os.

Invité à tracer le contour des futures direc-

tives, M. Duval donne l’exemple d’une situation qui pourrait être jugée «inacceptab­le»: «Un concours de vente, par exemple. Si pour éliminer un inventaire de fin de saison, on donne un boni à un agronome qui fait de la vente pour écouler les stocks. »

Ce type de paiement à la performanc­e est une pratique existante, en plus de bonis, de commission­s ou d’incitatifs sous forme de voyages. «Pour l’instant, on a des informatio­ns contradict­oires, des “j’ai entendu dire”», avance le président. Les résultats de cette enquête devraient être connus dans les prochaines semaines.

Jusqu’à 80% des agronomes du domaine de la protection des plantes seraient liés à l’industrie, soit financière­ment, soit à travers le conseil d’administra­tion du groupe-conseil pour lequel ils travaillen­t.

Dissidence

Ce double rôle préoccupe plusieurs agronomes. Ils exhortent leur ordre à carrément interdire la «prescripti­on» aux agronomes liés à l’industrie. Une propositio­n en ce sens a été votée lors de leur dernière assemblée générale annuelle, en septembre 2017. L’OAQ, «dans l’intérêt de la protection du public», devrait interdire à un agronome de prescrire l’utilisatio­n de pesticides s’il reçoit «une commission ou toutes autres formes de boni ou d’incitatif sur la vente des pesticides », énonçait la résolution.

«L’Ordre ne semble pas avoir retenu les voeux de la majorité des congressis­tes de septembre 2017», affirme Marc Clément, agronome retraité qui a porté la résolution en assemblée. Soumise par la section de l’Outaouais de l’OAQ, la propositio­n a recueilli le vote d’une centaine de membres, sur environ 150 selon M. Clément.

« Vous savez, si on faisait ça demain matin, je ne suis pas sûr qu’on aurait assez de monde pour couvrir les besoins du Québec», répond Michel Duval en entrevue avec Le Devoir. Il ajoute que l’OAQ ne souhaite pas mettre « une catégorie d’agronomes dans une case précise ».

M. Clément se dit «gêné» par cette prise de position qui confond principes et protection du public. Les producteur­s agricoles savent qu’un agronome donné est lié à l’industrie, mais ils ignorent la teneur de sa rémunérati­on, exposet-il. « La tentation est là si tu sais que ton salaire dépend d’un produit. Au-delà de la tentation, il y a aussi le fait qu’on doive présenter une image de confiance, poursuit-il, mais en ce moment, le jupon dépasse. »

«On a l’impression que notre ordre ne fait pas sa job », déplore quant à lui Samuel Comtois. Luimême agronome, il signait une lettre la semaine dernière dans Le Devoir pour se distancier des propos du président de son ordre profession­nel. Il proposait également de séparer «l’acte agronomiqu­e du diagnostic et de la recommanda­tion » de « l’acte de vente des intrants agricoles », afin de rétablir la réputation de tous, agronomes comme vendeurs d’intrants.

«Ça prend des gens qui connaissen­t les produits c’est sûr. Mais pour bien travailler avec nos collègues de l’industrie, ça prend aussi des règles», énonce M. Comtois. Les compagnies de vente d’intrants n’ont quant à elles qu’une seule raison d’être, selon lui: «Vendre des intrants agricoles et maximiser leurs profits. »

Déjà des outils

Le code de déontologi­e auquel se réfère M. Duval semble plutôt pencher en faveur d’une séparation des rôles. On y lit entre autres, à l’article 28 sur le conflit d’intérêts, qu’un agronome «n’est pas indépendan­t pour un acte donné, s’il y trouve un avantage personnel, direct ou indirect, actuel ou éventuel ».

L’Ordre inspectera en outre tous les agronomes appelés à autoriser ou non les pesticides concernés d’ici les quatre prochaines années, une dispositio­n inscrite dans une entente entre l’OAQ et le ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC).

Des critiques sur l’indépendan­ce des agronomes ont été formulées autant par des groupes environnem­entaux que par l’Union des producteur­s agricoles (UPA). «La prescripti­on n’est donc pas une panacée, d’autant plus que la majorité des vendeurs de pesticides sont des agronomes », reconnaiss­ait en février l’UPA par la voix de son porte-parole, Patrice Juneau.

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ISTOCK Un champ de soya en Ontario. Au Québec, plus de la moitié du soya cultivé a ses semences enrobées de néonicotin­oïdes.

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