Le Devoir

Xi Jinping, un président digne de Mao Tsé-toung

- PHILIPPE BROCHEN

Le Parlement chinois a aboli dimanche, lors d’un vote à bulletins secrets, la limitation des mandats présidenti­els, laissant les mains libres à Xi Jinping pour imposer sa vision à long terme d’une superpuiss­ance toujours plus soumise au Parti communiste.

Mais qui forme donc cette paire inattendue (et mystérieus­e) de contestata­ires, pour ne pas dire révolution­naires? Ce dimanche, lors d’un vote à bulletins secrets qui a réuni 2958 voix pour, 2 contre et 3 abstention­s, le Parlement chinois a, sans surprise, validé l’abolition de la limite des mandats présidenti­els. Les députés de l’Assemblée nationale populaire (ANP) ont

ainsi plébiscité un changement de la Constituti­on qui limitait jusqu’alors les mandats présidenti­els à deux fois cinq ans. La majorité des deux tiers des votes était exigée ; la barre a donc été franchie haut la main par le président de la République populaire, Xi Jinping, élu à ce poste par le Parlement national le 14 mars 2013.

Le changement adopté fait également entrer «la pensée Xi Jinping» dans la Constituti­on, tout comme «le rôle dirigeant» du Parti communiste chinois (PCC) dans son article premier. Désormais, Xi Jinping, 64 ans, va pouvoir se maintenir à la tête de l’État après le terme prévu de 2023, soit l’issue du deuxième mandat qu’il va prochainem­ent entamer. Et ce, sans limite de temps ni de casquettes.

Reste que, s’ils semblent anecdotiqu­es, ces deux votes contre la modificati­on de la Constituti­on «entreront dans l’histoire», a estimé le dissident Hu Jia, joint par l’AFP dans le sud du pays, où les autorités l’ont assigné à résidence durant la session de l’ANP.

Comment en est-on arrivé là?

Le projet de changement constituti­onnel a été rendu public il y a deux semaines, prenant les Chinois de court, tandis que le pouvoir censurait les réactions critiques sur Internet.

La limite de deux mandats avait été imposée dans la Constituti­on de 1982 par l’homme fort de l’époque, Deng Xiaoping, afin d’éviter un retour au régime dictatoria­l de l’ère Mao Zedong qui a dirigé le pays entre

1949 et 1976. « Quarantede­ux ans plus tard, un nouveau tyran à la Mao se lève sur la Chine », avance Hu

Jia.

Ce résultat est dû à la capacité que s’est octroyée Xi

Jinping de placer ses hommes à des postes stratégiqu­es et à la campagne anticorrup­tion qui a visé plus de 1,2 million de cadres du PCC.

« Quarantede­ux ans plus tard, un nouveau tyran à la Mao se lève sur la Chine »

Quelles conséquenc­es va avoir ce vote?

Pour les observateu­rs occidentau­x, cette modificati­on de la Constituti­on peut laisser augurer une recrudesce­nce de la répression à l’encontre des opposants au régime. Ces derniers pourraient être accusés d’atteinte à l’Etat pour avoir contesté la mainmise du PCC sur le pouvoir.

Depuis son arrivée à la tête de l’appareil politique central fin 2012, entraînant de facto son arrivée à la tête de l’État début 2013, Xi Jinping a accru l’autorité du régime, à grand renfort de propagande et d’une omniprésen­ce dans les médias d’État. Son objectif étant, face à l’Occident, de s’incarner en héraut de la «grande renaissanc­e de la nation chinoise», revanche d’une superpuiss­ance moderne et respectée à l’horizon 2050.

Pour autant, selon le politologu­e Willy Lam, de l’université chinoise de Hongkong, si les députés n’ont pas osé contrecarr­er le changement constituti­onnel et qu’aucun d’entre eux n’osera voter contre Xi Jinping lors de son élection à un deuxième mandat qui aura lieu dans quelques jours, certains pourraient toutefois exprimer leur mécontente­ment d’ici la fin de la session parlementa­ire le 20 mars.

Qui est Xi Jinping?

Fils de Xi Zhongxun, l’un des fondateurs de la guérilla communiste, Xi Jinping est né dans un milieu privilégié en 1953 à Pékin. Il appartient à la caste des «princes rouges», ces descendant­s des révolution­naires arrivés au pouvoir en 1949 avant d’être broyés par les purges de Mao. Pour autant, le président chinois cherche à gommer ses origines et cultive une image de dirigeant proche du peuple : la propagande insiste sur sa vie frugale dans une grotte à la campagne pendant la Révolution culturelle (1966-1976).

Après les troubles de l’ère maoïste, il décroche à la fin des années 70 un diplôme d’ingénieur chimiste de la prestigieu­se université Tsinghua à Pékin. Mais il fait carrière dans l’appareil du Parti, où il entre à 20 ans. Gouverneur du Fujian en 1999, patron du parti au Zhejiang en 2002, deux provinces côtières vitrines des réformes économique­s, il entre en 2007 au Comité permanent du Bureau politique, le cercle dirigeant du PCC, dont il prendra les rênes en novembre 2012.

Sur plan personnel, Xi Jinping, qui a étudié l’agricultur­e aux États-Unis en 1985, a épousé en 1987 en secondes noces la célèbre chanteuse Peng Liyuan. Le couple a une fille qui a étudié à Harvard. Surnommé «Xi Dada» (Tonton Xi) par la population, le président de la République populaire est parfois comparé à Mao pour le culte dont il fait l’objet et ses pouvoirs. Secrétaire général du PCC — «noyau central», comme l’a qualifié le parti en 2016 —, président de facto du pays, président de la commission militaire centrale, président de groupes de travail… Xi Jinping cumule depuis 2012 les fonctions à la tête de la deuxième puissance mondiale. Et cela n’est visiblemen­t pas à la veille de s’arrêter.

 ?? ANDY WONG ASSOCIATED PRESS ?? La limite de deux mandats avait été imposée dans la Constituti­on de 1982 pour éviter un retour au régime dictatoria­l de l’ère Mao Tsé-toung (à droite). À gauche, Xi Jinping.
ANDY WONG ASSOCIATED PRESS La limite de deux mandats avait été imposée dans la Constituti­on de 1982 pour éviter un retour au régime dictatoria­l de l’ère Mao Tsé-toung (à droite). À gauche, Xi Jinping.

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