Xi Jinping et les décadents.
Une chronique de François Brousseau.
Voilà un homme qu’admirent ouvertement Nicolas Sarkozy et Donald Trump. Nouveau despote des temps modernes, porté par le vent du XXIe siècle, il vient de faire adopter à Pékin un changement constitutionnel qui permet son maintien au pouvoir sans limite de temps.
Résultat du vote d’hier à l’Assemblée nationale populaire (c’est son nom): 2958 voix pour, 2 contre et 3 abstentions. Voilà ce qu’on appelle une majorité qualifiée !
Dans un enregistrement diffusé la semaine dernière par Le Monde, issu d’une conférence facturée à Abou Dhabi, M. Sarkozy s’est dit admiratif devant une Chine qui «assume ses responsabilités internationales»: «Le président Xi Jinping considère que deux mandats de cinq ans, ce n’est pas assez. Il a raison ! Le mandat du président américain, en vérité, ce n’est pas quatre ans, c’est deux ans: un an pour apprendre le job, un an pour préparer la réélection.»
Soulignant que des pays comme la Chine, mais aussi la Russie ou l’Arabie saoudite, ont su éviter le fléau du «populisme» et favoriser l’émergence de «vrais leaders», l’ancien président français a fustigé la décadence de la démocratie occidentale.
« Les démocraties, a-t-il dit, sont devenues un champ de bataille, où chaque heure est utilisée par tout le monde, réseaux sociaux et autres, pour détruire celui qui est en place. Comment voulez-vous avoir une vision de long terme ? [...] Aujourd’hui, les grands leaders du monde sont issus de pays qui ne sont pas de grandes démocraties. »
Avec moins d’arguments, mais parlant lui aussi du fond du coeur, Donald Trump avait déjà, quelques jours plus tôt (le 3 mars), dit sur le même sujet (la pérennité du pouvoir de Xi Jinping): «Il est maintenant président à vie. Président à vie! Il est génial. Je pense que c’est génial. […] Peut-être que nous devrions essayer ce système. »
Au-delà de l’expression grossière d’une envie mimétique, il y a une lucidité tragique dans les propos de l’ancien président français (laissons ceux de M. Trump).
Oui, la démocratie libérale au XXIe siècle est paralysée, déconsidérée, dénigrée. Oui, il arrive qu’elle soit corrompue, détournée par l’argent ou par le pouvoir des «techniciens». Oui, elle donne de plus en plus le spectacle d’une paralysie qui profite aux «antisystème», comme ceux qui ont obtenu la moitié des votes en Italie il y a huit jours…
Ce n’est sans doute pas par hasard que parmi ces derniers (la Ligue, le Mouvement CinqÉtoiles) figurent aujourd’hui beaucoup d’amis et de courtisans de Pékin et de Moscou.
Au-delà d’un phénomène endogène (les contradictions, la corruption, l’épuisement d’un modèle politique), il y a aussi, venant s’y greffer, l’émergence de nouveaux réseaux. Exit l’impérialisme américain, bonjour les incursions russes et chinoises… informatiques, financières et autres !
Le président chinois s’assume comme dictateur et défie le monde
Le triomphe de Xi Jinping et de sa dictature désormais sans complexes ni déguisements, c’est le corollaire de ce qui précède. Ces joursci à Pékin, sur le fond comme sur la méthode, on consacre un modèle alternatif qui ne fait même plus semblant d’être démocratique.
Aujourd’hui, la Chine assume complètement son néo-totalitarisme. Elle affirme, comme le très officiel Global Times l’écrivait en février, que la démocratie occidentale est «instable, épuisée, corrodée ».
Tout se tient : le vote unanime hier à Pékin, la dictature personnelle sans limites, une Chine puissance mondiale…
Pendant un quart de siècle, avec la limitation des mandats du président (deux fois cinq ans), avec l’émergence de groupes de pression, de quelques médias critiques, d’une justice semiindépendante (et du courageux «mouvement des avocats»), on avait voulu croire — y compris en Chine — à une évolution progressive, semi-démocratique, qui serait allée de pair avec l’enrichissement du pays : État de droit, valeurs universelles, séparation des pouvoirs…
Aujourd’hui, Xi Jinping dit aux Chinois et au reste du monde: toutes ces lubies, c’est terminé !
Attendons-nous, dans les prochains mois, à encore plus de répression sur le plan interne. Mais aussi, pour reprendre le mot de Nicolas Sarkozy, à une Chine qui «assume ses responsabilités internationales»: à commencer par des menaces de plus en plus précises contre l’autonomie de Hong Kong ou de Taïwan.