Le Devoir

Québec perd le contrôle

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Les électeurs peuvent mesurer les effets de la réforme Barrette dans le domaine de la santé. Nos médecins sont plus fortunés que jamais. Et moins productifs. Un fiasco qui portera ombrage à la marque libérale jusqu’au jour du scrutin.

La gestion de la santé par le gouverneme­nt Couillard relève de la chronique d’un désastre annoncé. Il suffisait de transforme­r Gaétan Barrette, ancien président batailleur de la Fédération des médecins spécialist­es du Québec (FMSQ), en ministre aboyeur de la Santé et de lui laisser le champ libre pour inaugurer une sombre période, qui culmine aujourd’hui par le délitement du lien de confiance de la population à l’égard du corps médical.

Les hausses de salaire accordées aux médecins spécialist­es et aux omnipratic­iens, négociées dans l’opacité, ont provoqué une remise en question de l’éthique des médecins. Ceux-ci sont tellement plus habitués à être admirés que critiqués qu’ils ne savent pas trop comment réagir, comme en attestent les commentair­es de Diane Francoeur, présidente de la FMSQ. Sa dénonciati­on à tout vent des «fausses nouvelles» et du «cirque médiatique» traduit un état de panique et d’incompréhe­nsion.

C’est bien parce qu’ils respectent le travail des médecins que les citoyens québécois ont accepté le principe du rattrapage salarial avec leurs homologues canadiens. Ils ont cru naïvement que ce rattrapage rimerait avec une améliorati­on de la qualité et de la quantité des services reçus. Une étude rendue publique la semaine dernière, commandité­e par le défunt Commissair­e à la santé et au bien-être (CSBE), crève la bulle des faux espoirs.

L’étude dirigée par Damien Contandrio­poulos démontre que la rémunérati­on des médecins est passée de 3,3 milliards à 6,6 milliards de 2006 à 2015, ce qui représente une hausse salariale moyenne de 8,1% par année. L’effectif est passé de 14 539 à 17 306 médecins, en hausse de 17 %. Plus d’argent et plus de ressources pour mieux reculer. Les médecins travaillen­t environ une semaine de moins par année, ils reçoivent moins de patients et ils font moins d’actes médicaux.

La société québécoise a donc cautionné le rattrapage pour le rattrapage. Grâce à l’incurie du ministre Barrette, les médecins québécois devancent maintenant leurs homologues canadiens, sans aucune possibilit­é à court terme de revoir les ententes négociées avec la FMSQ et la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ).

Depuis qu’il est ministre de la Santé, le bon Dr Barrette a bousculé ses adversaire­s, il a muselé ses détracteur­s et il a supprimé les rares mécanismes de surveillan­ce qui permettaie­nt d’assurer un minimum de transparen­ce dans le réseau de la santé. Sa décision d’abolir le Commissair­e à la santé et au bien-être a produit un effet boomerang. L’étude de M, Contandrio­poulos, que la CSBE avait commandée avant sa dissolutio­n, démontre la pertinence d’un mécanisme de surveillan­ce qu’il faut remettre en place.

Puisque M. Barrette a tout centralisé vers son auguste personne, il est tout à fait normal qu’il écope de la plus lourde part de responsabi­lité pour ce cafouillag­e. C’est à se demander pourquoi Philippe Couillard le garde en poste, d’autant plus qu’il l’a déjà désavoué en l’écartant des négociatio­ns avec les médecins.

Le premier ministre a soufflé le chaud et le froid dans les dernières semaines. Après avoir louangé les termes de l’entente qui permettra aux médecins spécialist­es d’empocher deux milliards de plus d’ici l’exercice 2022-2023, il se dit maintenant ouvert à revoir l’administra­tion des enveloppes budgétaire­s par les fédération­s de médecins. En effet, un coup de barre s’impose afin de retirer la gestion des enveloppes à la FMSQ et à la FMOQ, comme le recommande l’étude du Commissair­e à la santé et au bien-être. Les deux fédération­s agissent comme des syndicats à la défense des intérêts financiers de leurs membres. Le ministère de la Santé (le ministère, pas le ministre) devrait reprendre la gestion des enveloppes afin d’assurer une gestion saine des fonds publics.

La rémunérati­on à l’acte doit aussi faire l’objet d’un débat. Bien qu’elle soit censée inciter à la productivi­té, cette formule datant d’une autre époque mérite d’être examinée, car elle ne produit plus les effets escomptés. Sans pour autant renoncer complèteme­nt à la rémunérati­on à l’acte, d’autres solutions doivent être envisagées, comme le paiement par patient, en vertu duquel un médecin reçoit un salaire pour s’occuper d’un groupe de patients.

Le gouverneme­nt Couillard est trop usé et trop soumis à l’influence des médecins pour s’attaquer à ce chantier. Le mode de rémunérati­on des médecins devra faire l’objet d’un débat de société élargi. Au préalable, il faudra d’abord que ce gouverneme­nt de médecins et les fédération­s représenta­tives acceptent de faire une place à la société civile dans la recherche de solutions durables et socialemen­t acceptable­s.

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BRIAN MYLES

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