Le Devoir

Argent et maladie mentale

-

Je lisais avec un vif intérêt le texte de M. Yves Gingras «Des médecins malades de l’argent» (Le Devoir, jeudi 8 mars 2018, page A 7). Son texte est d’une extrême pertinence et les passages qu’il cite du livre de Georg Simmel, Philosophi­e de l’argent, sont particuliè­rement éclairants, à un point tel qu’il devrait devenir une lecture fortement recommandé­e dès le collégial.

La force principale du texte de M. Gingras réside dans ce qu’il pose des questions essentiell­es, notamment en ce qui a trait aux «valeurs» que certaines facultés universita­ires inculquent à leurs étudiants. Il faut cependant étendre aussi ce questionne­ment aux «schools of business» où l’on enseigne l’ingénierie de l’évasion fiscale et les exercices de comptabili­té créative qui engendrent des monstres de déraison (pour paraphrase­r le peintre Goya qui disait que le sommeil de la raison engendre des monstres): indemnités de départ même pour les incompéten­ts (rappelezvo­us l’histoire des papiers commerciau­x), primes stratosphé­riques (rappelez-vous Bombardier), frais accessoire­s prohibitif­s (rappelez-vous les gouttes ophtalmiqu­es), congés fiscaux (rappelez-vous Netflix), pour n’en nommer que quelques-uns.

Mais le constat le plus alarmant pour notre société que soulève à bon droit M. Gingras se rapporte à cette espèce de sociopa- thie qui règne dans l’esprit de ceux qui amassent maladiveme­nt plus d’argent qu’ils en ont vraiment besoin. De là les divers désordres, individuel et social, de la relation pathologiq­ue à l’égard de l’argent. Sans vouloir diaboliser cet outil d’échange, il serait grand temps, pour des sociétés dites civilisées, que les «influenceu­rs» (comme les politicien­s?) prennent des mesures courageuse­s.

Quand l’appât du gain en est rendu à diminuer «la capacité de jouir de menus plaisirs», à développer une «tendance paranoïaqu­e» et des «émotions négatives», quand une telle obsession entraîne une dégradatio­n de l’empathie et des « capacités relationne­lles», quand une telle dépendance insatiable devient chronique, alors oui on peut parler de maladie mentale. Ajoutez à cela déni et arrogance…

Une cure s’impose en commençant par annuler cette fameuse entente salariale qui serait plus sagement employée à renflouer des ressources auxiliaire­s indispensa­bles. Dans un deuxième temps, le gouverneme­nt actuel qui ne donne qu’aux riches mérite que la population lui prescrive un long congé de maladie. Ce ne serait là qu’un début à une cure salutaire de désintoxic­ation morale et psychologi­que, une amorce à une rééducatio­n éthique et un assainisse­ment des moeurs, le commenceme­nt d’une réflexion fondamenta­le et pratique sur le genre de société dans laquelle nous voulons vivre. Tout le monde gagnerait à vivre dans une société où la misère économique de gens« ordinaires» ne côtoierait plus la misère inter relationne­lle des ultra-nantis. Guy Sauvé Le 9 mars 2018

Newspapers in French

Newspapers from Canada