Le Devoir

Protection des renseignem­ents personnels au Canada : imiter ou innover

- ANTOINE GUILMAIN KARL DELWAIDE ANTOINE AYLWIN Avocats, Fasken Martineau DuMoulin

La protection des renseignem­ents personnels doit être repensée à l’heure des technologi­es de l’informatio­n et des nouveaux modèles d’affaires — pensons au Big Data, à l’Internet des objets ou encore à l’intelligen­ce artificiel­le qui étaient absents de notre quotidien il y a encore quelques années. Voilà une question qui fait aujourd’hui l’unanimité partout dans le monde. La solution est, quant à elle, moins évidente à trouver. Et, tandis que l’Union européenne met le cap sur une direction qui lui est propre, le Canada semble encore chercher sa voie. On veut assurément innover… oui, mais comment ? En inventant ou en imitant ? Les députés fédéraux semblent aujourd’hui privilégie­r la deuxième option, soit la voie de l’imitation de nos voisins européens.

Il y a quelques jours, le Comité permanent de l’accès à l’informatio­n, de la protection des renseignem­ents personnels et de l’éthique déposait son rapport quinquenna­l à la Chambre des communes intitulé Vers la protection de la vie privée dès la conception: examen de la Loi sur la protection des renseignem­ents personnels et les documents électroniq­ues. Il faut ici souligner que cette loi fédérale vise les organisati­ons du secteur privé ayant des activités commercial­es dans la plupart des provinces, à l’exception dans certaines circonstan­ces du Québec, de l’Alberta et de la Colombie-Britanniqu­e disposant de leurs propres lois.

Dans le cadre de cet examen parlementa­ire, le Comité formule 19 recommanda­tions de modificati­on de la loi fédérale en s’appuyant sur une analyse d’une centaine de pages. À la lecture du rapport, on peut toutefois s’étonner de voir autant de références au système européen : l’«Union européenne» est citée pas moins de 25 fois, tandis que l’occurrence «RGPD» (pour Règlement général sur la protection des données) se retrouve à 36 reprises. La nouvelle réglementa­tion européenne en matière de protection des données personnell­es est assurément un incontourn­able, mais on parle bien du Canada ayant sa propre histoire et ses propres spécificit­és en matière de vie privée. Plus avant, il faut garder à l’esprit le proverbe bien connu «qui veut imiter la démarche de l’autre ne fait que perdre la sienne». Cela dit, le rapport présente toutefois des pistes de réflexion fort intéressan­tes, notamment quant au développem­ent «responsabl­e» de l’intelligen­ce artificiel­le. C’est sur ces «plus» et ces «moins» que nous aimerions insister.

Réflexion constructi­ve

Entendons-nous: il n’est pas interdit de parler, voire même de s’inspirer, de la réglementa­tion européenne, qui est particuliè­rement audacieuse et originale, il faut bien l’admettre. La nuance est toutefois mince entre «s’inspirer» et «copier-coller». En l’occurrence, le rapport propose une réflexion certes constructi­ve, mais l’analyse apparaît parfois presque mécanique, comme s’il fallait nécessaire­ment faire un effort de type «check-the-box» entre le droit canadien et le droit européen. La plupart des recommanda­tions recoupent ainsi des concepts qui sont mis en avant dans la réglementa­tion européenne. Il faudrait ainsi modifier le droit canadien pour tenir compte des intérêts d’affaires légitimes, des nuances entre anonymisat­ion et pseudonymi­sation, du consenteme­nt des mineurs, de la portabilit­é des données, du droit à l’effacement et au déréférenc­ement ou encore des notions de Privacy by Design et de Privacy by Default.

Les Européens n’ont évidemment pas l’apanage de ces différente­s idées, il n’en demeure pas moins qu’un sentiment de « voie unique » se dégage de ce rapport. À ce stade, il faut noter qu’en matière de flux transfront­aliers de données, la notion du caractère «adéquat» (ou équivalent) des protection­s accordées aux renseignem­ents personnels est un enjeu crucial. En ce sens, le rapport y consacre une partie importante, et ce, à juste titre. Cependant, la quête du Graal «adéquation» ne signifie certaineme­nt pas que l’approche canadienne puisse être dictée ipso facto par l’Union européenne.

Cela étant dit, soulignons toutefois que le rapport contient des développem­ents plus novateurs que d’autres, notamment quant aux pouvoirs d’exécution du Commissair­e à la protection de la vie privée ou encore à l’étude de l’approche états-unienne. Ce constat se vérifie particuliè­rement concernant les enjeux de l’intelligen­ce artificiel­le. Le Comité exhorte ainsi le gouverneme­nt du Canada à «envisager la prise de mesures visant à améliorer la transparen­ce algorithmi­que». À l’heure où les projets et réussites se multiplien­t au Canada dans ce secteur, particuliè­rement à Montréal, et compte tenu du besoin criant de sécurité juridique pour tous les intervenan­ts, y compris les entreprise­s innovantes, cette recommanda­tion fait jaillir une lueur d’espoir. Elle doit maintenant s’accompagne­r de véritables discussion­s sur le plan éthique, tout en s’inscrivant dans un cadre normatif équilibré et compétitif. L’intelligen­ce artificiel­le ne doit pas opposer, mais bien rassembler toutes les parties prenantes.

Au bout du compte, le modèle canadien de protection des renseignem­ents personnels doit tracer sa propre voie, trouver son propre équilibre. À ce chapitre, peut-être convient-il de mieux considérer les propos du législateu­r (luimême!) qui se retrouvent dans la loi fédérale, soit de tenir compte du droit des individus à la vie privée et du besoin des organisati­ons de traiter des renseignem­ents personnels dans une ère où la technologi­e modifie la donne.

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ISTOCK Le modèle canadien de protection des renseignem­ents personnels doit tracer sa propre voie, trouver son propre équilibre.

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