Le Devoir

Pour un fonds de recherche indépendan­t sur les pesticides

- TEXTE COLLECTIF* Lettre ouverte de chercheuse­s et de chercheurs indépendan­ts

Radio-Canada et le quotidien Le Devoir rendaient publique lundi dernier l’existence de conflits d’intérêts qui remettent en question l’indépendan­ce de la recherche sur les pesticides au Québec. La direction et le conseil d’administra­tion du Centre de recherche sur les grains (CEROM), une institutio­n publique dont une partie des recherches vise à réduire l’utilisatio­n des pesticides qui nuisent à l’environnem­ent, ont tenté de dissuader des chercheurs de diffuser les résultats de leurs travaux, lesquels concluaien­t que l’utilisatio­n des pesticides néonicotin­oïdes n’avait qu’une influence minime sur les rendements en agricultur­e.

Nous sommes réellement préoccupés par le fait que les entreprise­s qui vendent des pesticides ainsi que certains producteur­s agricoles ont une influence indue sur la recherche concernant ces produits toxiques. Qui plus est, il est inacceptab­le qu’un organisme privé comme le CEROM bénéficie de fonds publics pour faire de la recherche sur les pesticides, alors que son conseil d’administra­tion est principale­ment constitué d’entreprise­s qui vendent ces produits et d’agriculteu­rs qui les utilisent. Le conflit d’intérêts est évident. Il est également hautement préoccupan­t que des études démontrant l’inefficaci­té de pesticides n’aient pas été rendues publiques, au moment même où le gouverneme­nt du Québec étudiait la mise en place d’une réglementa­tion pour interdire l’usage des pesticides posant les risques les plus élevés pour la santé et l’environnem­ent.

La prévalence des intérêts privés

Les intérêts privés influencen­t la recherche sur les pesticides à tous les niveaux. Dès le départ, l’approbatio­n donnée par Santé Canada (appelée homologati­on) pour l’utilisatio­n des pesticides est basée majoritair­ement sur les études réalisées par l’industrie agrochimiq­ue. Toutes les analyses de risques qui sont réalisées ultérieure­ment, y compris celles de Santé Canada, utilisent ces données, faute de données indépendan­tes. L’industrie se targue ensuite du fait que ses produits sont homologués et donc que les risques sont bien évalués et minimes. Or, nous constatons de plus en plus souvent des contradict­ions importante­s entre les évaluation­s de toxicité provenant de l’industrie et les évaluation­s des études indépendan­tes. En effet, les études de chercheurs universita­ires bénéfician­t de la liberté universita­ire révèlent bien souvent des risques significat­ifs à la santé qui n’avaient pas été mis en lumière par les tests de l’industrie.

Pendant ce temps, l’utilisatio­n de pesticides agricoles atteint des niveaux records au Québec. Rappelons que ces produits sont conçus pour être toxiques et ils sont épandus dans l’environnem­ent de façon volontaire. Plusieurs pesticides utilisés en agricultur­e et en milieu urbain ont été associés à des effets néfastes sur la santé humaine, notamment la maladie de Parkinson, une diminution de la fertilité, et des problèmes neurologiq­ues chez l’enfant. Les travailleu­ses et travailleu­rs agricoles sont les premiers exposés, et nous avons le devoir d’évaluer les risques que ces travailleu­rs encourent. Des recherches rigoureuse­s sur l’ampleur des risques à la santé sont de la plus grande importance.

Les pesticides inquiètent le public. Les gens s’intéressen­t beaucoup à ce qu’ils peuvent faire pour diminuer leur risque d’exposition aux pesticides, craignant de souffrir des conséquenc­es éventuelle­s que ces produits pourraient avoir sur leur santé et celle de leurs enfants. Ainsi, il est souvent question de manger bio, d’éviter les pesticides sur nos pelouses, etc. Mais ces mesures de protection individuel­le sont insuffisan­tes et porteuses d’inégalités. En effet, il n’est pas à la portée de chacun de remplir son panier d’épicerie de produits biologique­s. D’un point de vue de santé publique, des mesures collective­s s’imposent, car tous devraient avoir droit à un environnem­ent sain. Pour nous, chercheurs, cela doit passer par une gestion prudente des pesticides, basée sur des données probantes et indépendan­tes.

Par conséquent, nous réclamons des gouverneme­nts du Québec et du Canada qu’ils mettent en place des fonds de recherche indépendan­ts sur les impacts des pesticides sur la santé et l’environnem­ent afin de protéger adéquateme­nt l’intérêt public. Un financemen­t indépendan­t nous permettrai­t d’effectuer ces recherches sans que les résultats fassent l’objet d’un quelconque bâillon.

L’utilisatio­n de pesticides agricoles atteint des niveaux records au Québec. Rappelons que ces produits sont conçus pour être toxiques et ils sont épandus dans l’environnem­ent de façon volontaire.

*Liste complète des signataire­s sur toutes les plateforme­s numériques du Devoir.

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