Le Devoir

Les violences sexuelles, une arme de guerre sous le président syrien

- LOÏC VENNIN à Paris

Les violences sexuelles sont utilisées comme mesures de «rétorsion» contre l’opposition par le président syrien, Bachar al-Assad, dont la politique de terreur — «sa raison d’être» — se renforcera avec sa victoire, assure la Syrienne Maria Al Abdeh, directrice de l’ONG Women Now for Developmen­t, le plus grand réseau d’aide aux femmes dans ce pays déchiré par la guerre depuis plusieurs années. Entrevue.

Votre ONG, basée à Paris, est notamment implantée dans l’enclave rebelle de la Ghouta, attaquée depuis plus de trois semaines. Quelle est la situation sur place?

Les gens vivant dans la Ghouta sont des martyrs vivants. Le désespoir est tel qu’on m’a fait part d’une manifestat­ion où le slogan était : « On ne veut pas de liberté». Les gens sont prêts à tout pour éviter d’être identifiés à l’opposition, d’être victimes des bombardeme­nts, des attaques chimiques et de la famine.

On reçoit des vidéos: les gens vivent dans des constructi­ons souterrain­es, sans toilettes, sans cuisine, sans lumière, des trous dans la terre. Il y a parfois des heures sans bombardeme­nts et la population sort alors pour tenter de trouver à manger, mais il n’y a presque plus rien. Ils ont seulement un repas par semaine. Le reste du temps, les plus chanceux n’ont que du pain sec. Il n’y a plus de médicament­s non plus : une femme a accouché avec césarienne, sans anesthésie. Pourtant, ce sont des civils.

Et il est impossible de fuir. Une famille a essayé, mais elle a été arrêtée. De toute façon, il suffit qu’on dise qu’on vient de la Ghouta pour se faire arrêter.

Vous avez participé dimanche à un colloque à l’Institut du monde arabe à Paris sur les viols des Syriennes, qu’on dit souvent être une «arme de guerre» du régime. Qu’en est-il?

Les violences sexuelles surviennen­t dans les centres de détention, aux points de contrôle où ils sont la condition d’un droit de passage, ou quand le régime reprend une zone aux rebelles, pour se venger, mais également par l’exploitati­on de la femme. Une mère m’a dit qu’elle était allée demander des nouvelles de son fils et qu’on lui en avait promis contre un viol.

Les violences sexuelles font partie d’une pratique de terreur: on viole les femmes pour se venger de leur famille et de leur clan, pour humilier leurs frères et leur père. C’est une mesure de rétorsion.

Je l’ai vu : le viol est pratiqué par le régime syrien sur les classes les plus populaires, car elles ne peuvent se défendre. On ne viole pas une avocate.

Les violences vont-elles cesser avec la victoire de Bachar al-Assad?

Non. La violence continuera en Syrie, même après la victoire de Bachar al-Assad car c’est sa

raison d’être. Son moyen de rester au pouvoir, c’est la terreur. Les violences vont servir de représaill­es : le régime n’oubliera pas que la population a osé se lever contre lui.

Cela ne va pas s’améliorer, tout au contraire. En gardant le silence, la communauté internatio­nale va faire rentrer la Syrie dans un cercle vicieux de violences. Sa victoire va renforcer Bachar al-Assad, et la population, qui n’en peut plus, va continuer la résistance. Quand on voit son gamin déchiqueté, que faire d’autre ?

Le régime syrien est décidé à anéantir toutes les personnes opposées à lui. Le régime a toujours pour prétexte de dire qu’il s’agit de groupes terroriste­s mais il est responsabl­e à 90% des violences.

Que peut faire la communauté internatio­nale?

Il faut faire justice et [faire en sorte] que Bachar al-Assad paie pour ses crimes. Il n’est pas l’ennemi du peuple syrien, comme le dit Emmanuel Macron, mais il est l’ennemi de l’humanité.

Les preuves, on les a. On a des milliers de photos de détenus, de brûlures au napalm et il faut accepter de prendre en compte les témoignage­s des civils. Je reçois des témoignage­s de gens qui me disent : « Je n’arrive pas à respirer». Il n’y a pas de solution en gardant Bachar al-Assad. C’est sans issue.

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Bachar al-Assad

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