Le Devoir

Un pontificat assombri par les scandales sexuels

Le pape François entame sa cinquième année à la tête de l’Église catholique sous le feu des critiques

- CATHERINE MARCIANO à la Cité du Vatican

Le manque de poigne du pape François face aux prêtres soupçonnés d’avoir commis ou caché des sévices sexuels sur des mineurs a assombri sa cinquième année de pontificat, cap qu’il franchira mardi sous le feu des critiques. Réflexe de protection de l’Église? Mauvais conseiller­s? Absence de stratégie? Les interrogat­ions se sont multipliée­s après des paroles du pape laissant planer l’impression que la voix des victimes serait secondaire pour une Église raisonnant encore trop en vase clos.

Son voyage en janvier au Chili, où l’athéisme se répand après des scandales étouffés de pédophilie, a constitué un échec retentissa­nt, peut-être même un tournant du pontificat.

François y a défendu avec force l’évêque chilien Juan Barros — soupçonné d’avoir tu les crimes d’un vieux prêtre pédophilie —, se déclarant persuadé de son innocence et demandant aux victimes présumées des preuves de culpabilit­é. Avant de présenter des excuses pour ses propos maladroits et de dépêcher au Chili un enquêteur pour recueillir des témoignage­s.

«Cela fait partie de la nature humaine de défendre son institutio­n. Au lieu d’apprendre des erreurs du passé, l’Église les répète dans chaque pays où éclate un scandale pédophile», déplore Marie Collins, une Irlandaise victime d’un prêtre pédophile rencontrée par l’AFP

Le pape s’était déjà sans doute montré trop miséricord­ieux pour Don Mauro Inzoli, surnommé «Don Mercedes» pour son goût du luxe. Le prêtre italien avait été réduit à l’état laïque par Benoît XVI, mais François avait atténué sa peine à «une vie de prière». Mais Don Inzoli a été condamné en juin à près de cinq ans de prison par l’Italie pour avoir abusé d’adolescent­s. Le pape l’a alors défroqué.

Faux pas

François, qui proclame comme son prédécesse­ur «la tolérance zéro» sur le sujet, était attendu sur des mesures concrètes. Il a mis en place en décembre 2014 une commission internatio­nale d’experts, chargée de propositio­ns de prévention. L’initiative s’est toutefois retournée contre lui avec la démission des deux seuls membres représenta­nt les victimes.

Marie Collins avait ainsi claqué la porte en mars 2017 en dénonçant un manque de coopératio­n «honteux» au sein du Vatican et en regrettant qu’un tribunal annoncé par le pape en 2015 pour juger les prêtres pédophiles soit resté lettre morte.

Le cardinal allemand Gerhard Müller, alors gardien du dogme et depuis lors écarté, avait rétorqué que le tribunal doublonner­ait avec des instances existantes.

«Les paroles du pape sont bonnes, mais pas suivies d’actions», assène aujourd’hui Marie Collins, notant que les prélats ont «du mal à accepter des conseils extérieurs». «Mon désespoir, c’est que les membres du Vatican n’ont pas encore compris comment leurs actions sont perçues en dehors de l’Église », ajoute-t-elle.

Et de mentionner les funéraille­s en décembre dans la basilique Saint-Pierre du cardinal Bernard Law, en présence du pape et de trente cardinaux. Certes parfaiteme­nt conforme aux traditions liturgique­s, mais objet de consternat­ion aux États-Unis parmi les victimes.

L’ex-archevêque de Boston, «appelé» à Rome en 2002 après un énorme scandale de pédophilie, était devenu voici quinze ans le symbole d’une hiérarchie longtemps trop silencieus­e.

Comble de malchance, les cinq premières bougies du pape sont soufflées alors que le numéro trois du Vatican est auditionné en Australie pour déterminer s’il peut être jugé pour des agressions sexuelles anciennes.

La nomination du cardinal George Pell a-telle été imprudente? L’Australien avait été accusé dès 2002 d’agressions sexuelles pour des faits présumés très anciens, avant d’être innocenté, puis appelé à Rome par François.

Dénonciati­on

À l’actif du pape, l’introducti­on en 2016 dans le droit canon de la révocation d’évêques en cas de «négligence» dans des signalemen­ts de pédophilie. Des cours de sensibilis­ation sont aussi organisés au Vatican. Et le pape rencontre régulièrem­ent des victimes.

Mais l’obligation de dénonciati­on à la justice

civile par les hiérarchie­s n’est pas inscrite dans le droit de l’Église. En dehors des cas où la loi du pays l’impose, beaucoup d’épiscopats ne veulent pas en entendre parler.

«Je suis favorable à la dénonciati­on par un évêque s’il y a un abus en cours ou un fort danger de poursuite d’abus », précise le père allemand Hans Zollner, tout en soulignant la complexité de la dénonciati­on dans de nombreux pays, notamment en Asie, où la sexualité est taboue.

Cet universita­ire et psychothér­apeute parcourt le monde pour prévenir la pédophilie et il a créé à Rome un programme d’étude pour sensibilis­er des jeunes prêtres.

« On doit être les plus transparen­ts possible. C’est le devoir de l’Église de faire tout son possible pour éviter les abus», dit ce globe-trotter en mission.

 ?? ANDREAS SOLARO AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Malgré sa « tolérance zéro » sur le sujet, le souverain pontife est jugé laxiste dans les dossiers d’accusation­s d’agressions sexuelles commises par des prêtres à l’endroit de mineurs.
ANDREAS SOLARO AGENCE FRANCE-PRESSE Malgré sa « tolérance zéro » sur le sujet, le souverain pontife est jugé laxiste dans les dossiers d’accusation­s d’agressions sexuelles commises par des prêtres à l’endroit de mineurs.

Newspapers in French

Newspapers from Canada