Le nouveau chef conservateur, Doug Ford, le Donald Trump du Nord
Doug Ford pourrait bien devenir premier ministre, selon un sondage, mais des analystes estiment que ses prises de position aideront les libéraux
Doug Ford, frère de l’exmaire controversé de Toronto, pourrait-il devenir le prochain premier ministre de l’Ontario? Un premier sondage, mené le lendemain de son élection à la tête du Parti progressiste-conservateur (PPC), indique que oui. Mais qu’il soit élu ou non le 7 juin prochain, son arrivée sur la scène politique provinciale bouleversera la donne électorale.
Des 923 Ontariens sondés par Forum Poll dimanche, 44 % se sont dits prêts à voter pour le parti de Doug Ford, contre 27% pour le NPD d’Andrea Horwath et 23% pour les libéraux de Kathleen Wynne. Il faut dire que les conservateurs caracolent depuis des mois en tête des sondages et que, même après la publication d’allégations d’inconduites sexuelles visant le précédent chef, Patrick Brown, ils obtenaient toujours près de 50 % d’appuis.
Doug Ford jouit toutefois de peu d’estime de la part des électeurs indécis. La firme Angus Reid a calculé la semaine dernière le score net de chaque candidat, soit la différence entre le pourcentage de gens plus susceptibles de voter pour le PCC avec ce candidat à sa tête et le pourcentage de gens moins susceptibles de le faire. Rob Ford a obtenu -29, tandis que Christine Elliott, sa plus proche rivale, était à +27.
Dans une chronique dévastatrice publiée dans le Ottawa Citizen, Randall Denley soutient que Doug Ford fait reculer son parti. «Ford prend un parti au centre, où se trouvent la plupart des électeurs, pour le ramener à droite où le PPC a perdu la dernière élection», note celui qui a lui-même été candidat conservateur en 2011 et en 2014. «Juste pour rendre le travail des libéraux encore plus facile, Ford a commencé à parler d’avortement et de cours d’éducation sexuelle. Ford est le candidat rêvé des libéraux.»
Doug Ford a en effet indiqué qu’il permettrait à ses députés de proposer des projets de loi sur l’avortement. Il s’est aussi montré ouvert à l’idée d’obliger le corps médical à avertir les parents lorsqu’une mineure sollicite une interruption de grossesse. «Vous devez signer un billet pour autoriser vos enfants de 12 ou 13 ans à participer à une sortie scolaire», a-t-il argué. Doug Ford s’est aussi engagé à revoir le curriculum des cours d’éducation sexuelle, qui fait débat depuis 2010.
Il faudra voir si ces prises de position procèdent d’une conviction profonde ou d’un calcul politique. Une des quatre candidates à la chefferie, la pro-vie Tanya Granic Allen, s’était lancée dans la course précisément pour contester l’endossement par Patrick Brown des cours d’éducation sexuelle. Dans un contexte de vote préférentiel, le clan Ford avait calculé que les partisans de Mme Granic Allen opteraient pour leur poulain en second choix s’ils étaient suffisamment amadoués. La tactique a été évidente lors du dernier débat des candidats, M. Ford multipliant les compliments à l’endroit de sa rivale.
Des compressions à venir
L’élection de M. Ford à la tête du PPC rend aussi caduc le programme électoral de la formation prévoyant de remplacer le système de plafonnements et d’échanges des émissions de gaz à effet de serre du gouvernement Wynne par une taxe sur le carbone qui rapporterait plus.
M. Ford remisera cette taxe, créant un manque à gagner de 4 milliards de dollars par an dans le cadre financier conservateur. En y ajoutant les 2,8 milliards de «gaspillage» qu’ils avaient déjà promis de retrancher, c’est donc de 5,5 % que les conservateurs devront réduire le budget provincial. Cette promesse fait planer le spectre de la campagne conservatrice de 2014 qui avait été complètement lestée par la promesse d’abolir 100 000 postes dans la fonction publique.
David Reevely, chroniqueur au Ottawa Citizen, ne mâche pas ses mots: «Il dit des stupidités. Il dit des faussetés. […] Il est convaincu de pouvoir trouver dans le budget provincial des milliards de dollars en gaspillage sans que cela cause de douleur à qui que ce soit, avec un talent que personne d’autre en politique provinciale ne possède. À Ottawa, ce scénario a pris la forme de Larry O’Brien. À Toronto, de Rob Ford. Aux États-Unis, de Donald Trump. Ce sont tous de joyeux “hyperbolistes” tellement ignorants de ce qu’ils ne savent pas qu’ils sont capables de baratiner avec une conviction totale. »
Dans le Globe and Mail, Adam Radwanski établit aussi la comparaison avec le président américain, quoiqu’en rappelant que M. Ford n’a pas ses préoccupations migratoires. Il a en partage, écrit-il, «sa façon de faire campagne à coup de slogans et d’attaques», son «hostilité envers les médias», « sa réputation d’intimidateur». Mais surtout, conclut-il, il entend bien tirer profit de «ceux qui se sentent les laissés-pour-compte des changements socio-économiques et qui croient que les élites corrompues dans tous les partis politiques généralistes sont indifférentes à leurs difficultés».