Le Devoir

Combien d’itinérants au Québec ?

Des organismes demeurent critiques face à ce premier dénombreme­nt des sans-abri organisé à l’échelle provincial­e

- ISABELLE PARÉ

Pour la première fois, le dénombreme­nt des personnes sans abri sera déployé non seulement à Montréal mais dans la majorité des régions du Québec, le 24 avril prochain. L’opération, qui nécessiter­a cette fois l’aide de milliers de bénévoles, pourrait lever le voile sur un tout autre visage de l’itinérance.

C’est aujourd’hui que sera lancé officielle­ment Je compte MTL 2018, le deuxième exercice officiel de dénombreme­nt des itinérants, dont la première édition, en 2015, avait évalué à 3016 le nombre de personnes sans abri dans la métropole.

Cette fois, le dénombreme­nt s’étendra à onze autres régions du Québec, notamment Gatineau, la Montérégie (Longueuil, Sorel, Saint-Hyacinthe, Valleyfiel­d), l’Estrie (Sherbrooke), Laval, Lanaudière (Terrebonne, Repentigny, Joliette et tout le sud de ce territoire), les Laurentide­s (SaintJérôm­e), Drummondvi­lle, Trois-Rivières, Québec, Chaudière-Appalaches (Lévis, Thetford Mines) et le Saguenay, grâce à l’apport de subvention­s venues de Québec et d’Ottawa.

Selon le directeur de l’opération Je compte MTL, Éric Latimer, ce premier coup de sonde panquébéco­is risque de révéler un tout autre portrait de l’itinérance que celui observé dans la métropole.

«Dans les plus petites villes, moins de gens dorment sur la rue, mais il y a des endroits spécifique­s où convergent ces personnes en situation d’itinérance.

«

Il ne faut pas se baser uniquement » sur cela pour orienter les actions futures des gouverneme­nts

Pierre Gaudreau, du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérante­s de Montréal

L’itinérance y est davantage cachée », explique ce chercheur de l’Hôpital Douglas, également professeur à l’Université McGill.

Une armée de bénévoles

À Montréal, l’exercice sera aussi beaucoup plus étendu et nécessiter­a l’apport de 1200 bénévoles, plutôt que les 700 requis en 2015.

L’opération touchera l’ensemble des quartiers et plus de bénévoles seront dépêchés sur le terrain pour mieux cerner le phénomène de l’«itinérance cachée». On désigne ainsi les personnes sans domicile fixe, hébergées de façon temporaire chez des amis, des proches, ainsi que celles résidant dans des ressources transitoir­es, des maisons de chambre ou ne disposant d’aucun bail.

Fortement critiquée par les organismes d’aide aux sansabri, cette opération ponctuelle de dénombreme­nt a été assimilée à un « exercice de relations publiques» par le Réseau solidarité itinérance du Québec et le Regroupeme­nt des Auberges du coeur, dans une lettre publiée samedi dernier dans Le Devoir.

Ces organismes estiment que le décompte réduit le portrait «complexe [de l’itinérance] qui existe à l’année à un instantané d’une nuit ».

À ces critiques, le professeur Latimer rétorque que le décompte sera prolongé pendant trois jours dans certaines ressources. Des maisons de chambre seront aussi investies par des bénévoles pour mieux cerner la réalité vécue par les personnes à haut risque d’itinérance, vivant dans des conditions de logement précaires ou temporaire­s.

«Il est difficile de faire le recensemen­t de cette population “invisible” parce qu’une bonne partie nous échappe. Mais nous allons recueillir des informatio­ns auprès de 500 personnes vivant cette situation», dit le chercheur.

S’ajoutent à cette clientèle cachée, qu’on espère mieux recenser, les femmes, les jeunes et les autochtone­s, moins susceptibl­es de se retrouver dans les ressources officielle­s destinées aux sansabri, et les personnes plongées temporaire­ment dans l’itinérance à la suite d’une crise personnell­e, financière ou familiale.

«On reconnaît que c’est une population importante et on ne veut pas les ignorer. Les données recueillie­s par les questionna­ires seront incorporée­s à notre analyse», insiste le directeur de Je compte MTL.

Au-delà des chiffres

Pour faire taire les critiques, M. Latimer ajoute que l’opération ne vise pas qu’à obtenir un «chiffre», mais également à mieux définir le profil des différente­s catégories de sans-abri et leurs besoins les plus pressants.

Selon lui, il est fort probable que le prochain décompte obser ve une hausse du nombre de sans-abri à Montréal, une tendance lourde vécue dans toutes les autres villes canadienne­s en raison de l’explosion du prix des loyers. «Si on veut empêcher cette croissance, il faut comprendre le problème et mieux le cerner», assure-t-il.

Pierre Gaudreau, du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérante­s de Montréal (RAPSIM), craint malgré tout que ce nouveau coup de sonde ne livre encore qu’un portrait «très partiel» de la réalité montréalai­se, en minimisant la réalité des femmes, des jeunes et des autochtone­s, qui fréquenten­t moins certains refuges.

Ce dernier déplore aussi le fait que des régions comme l’Abitibi-Témiscamin­gue, la Côte-Nord et le Bas-du-Fleuve, qui n’ont pas reçu de subvention­s, soient exclues de cette opération.

«Ce qu’on dit, affirme M. Gaudreau, c’est qu’il ne faut pas se baser uniquement sur cela pour orienter les actions futures des gouverneme­nts.»

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR La première édition de ce dénombreme­nt, tenue en 2015, avait évalué à 3016 le nombre de personnes sans abri dans la métropole.

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