Le Devoir

Nous, médecins, ne sommes pas seulement un salaire

- VALÉRIE MARCHAND Pédiatre-gastroenté­rologue Directrice, Programme de gastroenté­rologie pédiatriqu­e CHU Sainte-Justine

Je lis tous les jours les articles dégradants sur les médecins. Ça me peine de voir qu’on nous décrit comme cupides et paresseux. Comment en est-on arrivés là? La critique est facile quand on ne connaît qu’une facette de la réalité. Dans le cas précis, le salaire.

J’ai toujours voulu être pédiatre. J’ai tellement étudié pour entrer en médecine. Quand mes amies sortaient, j’étudiais. Finalement acceptée en médecine, j’ai réalisé pleinement ce qu’étudier signifiait. Pendant quatre longues années.

Puis la résidence en pédiatrie. Pas facile, sept gardes de 24 heures par mois en plus de mes journées. Heureuseme­nt, le lendemain des gardes, je pouvais aller me coucher et tenter de dormir, la tête encore pleine des échos des alarmes des moniteurs et des sonneries de Pagette qui avaient habité ma nuit. Après cinq ans de résidence, je pars faire une formation supplément­aire de trois ans aux États-Unis.

A 32 ans, je commence enfin à travailler. Mes amies ont déjà une famille, une maison, un travail! Moi j’ai des dettes. Et je voudrais une famille.

Pas de retrait préventif. Travailler jusqu’à 38 semaines, debout à faire des coloscopie­s, à m’occuper des enfants des autres, à répondre aux urgences la nuit et le week-end. Être en contact quotidienn­ement avec des virus pouvant causer des malformati­ons foetales. J’ai été chanceuse, mes filles sont nées en santé.

Pas de congé de maternité payé. Pour ma dernière, j’ai osé prendre un an. Mon chef m’a exprimé son mécontente­ment. Un médecin qui part, ça fait plus de travail pour ceux qui restent, car on n’est pas remplacés.

Pas de congé de maladie payé. Un matin, je me suis cassé le pied en allant travailler. Après ma radiograph­ie, j’étais de retour à l’hôpital en béquilles pour faire ma tournée médicale puis mon week-end de garde. Parce que trouver quelqu’un pour te remplacer à la dernière minute, ce n’est pas facile.

Mes filles comprennen­t mon travail et pourquoi elles étaient les premières arrivées et les dernières à partir du service de garde. Pourquoi, lors des spectacles, j’étais toujours la mère en retard, debout à l’arrière de la salle à agiter frénétique­ment la main pour qu’elles sachent que je suis là! Mais il y a eu des questions. Comme un matin ou ma fille, fiévreuse, a dû rester à la maison avec une gardienne. « Maman, reste avec moi Impossible, je dois aller à l’hôpital, les enfants malades ont besoin de moi.

MAIS MOI, JE SUIS MALADE »…

Je ne peux pas annuler ma clinique à la dernière minute, je ne ferais jamais ça à mes patients. Et je dois gérer ma liste d’attente.

Je travaille facilement 11 heures par jour, je rentre à la maison à 19h. Heures supplément­aires? Non, juste une grosse journée. Je connais les infirmière­s de jour et de soir, je rencontre parfois aussi celles de nuit.

Je ne dois pas faire d’erreur. Je dois tout vérifier, tout le temps, peu importe la charge de travail. Parce qu’à la fin de la journée, c’est MOI qui ai l’ultime responsabi­lité du patient, parce que c’est MON nom sur leur bracelet d’hôpital.

Lorsque les parents veulent me parler en arrivant à l’hôpital après leur journée de travail, je le fais même si ça fait déjà plus de 10 heures que je suis là. Je suis joignable presque tout le temps. Parfois, j’étais en vacances, mais mes patients, eux, étaient en hémorragie, en septicémie, en phase terminale…

Je passe la journée à me faire demander des choses par tout le monde. À l’hôpital, Dre Marchand… À la maison, Maman… Puis les courriels, Valérie…

Mes patients sont très malades. J’en vois 15 par jour en clinique. Impossible d’en voir plus, c’est trop lourd. Je ne suis pas productive selon Barrette. Venez me voir travailler et dites-moi que je ne suis pas productive…

J’appelle mes patients, souvent le soir, pour leur donner des résultats de tests. Pourquoi venir à l’hôpital, manquer une journée de travail ou d’école, payer essence et stationnem­ent, uniquement pour des résultats ? J’écris des lettres et je remplis d’innombrabl­es formulaire­s pour eux. Je ne suis pas payée pour ces appels et ces formulaire­s, uniquement pour les patients que je VOIS.

Certaines réunions sont rémunérées. Des réunions lors desquelles on prend des décisions difficiles pour des patients compliqués, ça ne mérite pas de rémunérati­on?

J’enseigne aux étudiants en médecine. Moins payant que de voir des patients, mais j’aime ça. Je suis impliquée bénévoleme­nt auprès du Collège royal pour la formation des futurs médecins, auprès de la Société canadienne de pédiatrie, pour établir des documents de principe.

Pas de vacances payées. Pas de régime de retraite. Des milliers de dollars par année en assurance salaire et en assurance responsabi­lité. Plusieurs de mes collègues paient aussi, à même leur salaire, secrétaire, loyer et équipement.

Je ne me plains pas. J’adore mon travail et mes patients. J’essaie simplement de montrer l’autre côté de la médaille, la réalité de plein de médecins de coeur qui se donnent à 150 %, compensent les compressio­ns, COMME ET AVEC le personnel infirmier, les pharmacien­s, nutritionn­istes, psychologu­es, travailleu­rs sociaux, etc. Des médecins fiers de leur profession, qui ont choisi la médecine pour aider les gens. Pas pour l’argent, parce que ça ne vaut pas la peine. Et certaineme­nt pas pour se faire traîner dans la boue.

Nous sommes plus que juste un salaire.

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