Rémunération des médecins: les dérives d’un débat
Le débat actuel entourant les conditions de travail des médecins prend une tangente dangereuse, tant pour la profession médicale que pour la société québécoise. S’il est tout à fait à propos d’analyser les impacts de la rémunération des médecins sur la gestion de l’État ou encore de remettre en question les différentes ententes négociées avec les deux grandes fédérations médicales, il est malheureux de voir le débat s’enliser dans une logique irrationnelle et parfois tendancieuse. La dévalorisation de la profession médicale n’est ni souhaitable ni productive.
À l’approche d’une échéance électorale importante, la société québécoise aurait tout avantage à prendre un peu de recul et à analyser la situation plus froidement. Pour l’instant, tout porte à croire que cet enjeu explosif pourrait dériver vers un discours parfois populiste qui relève davantage de l’obsession que de la nuance. Que les conditions de travail des médecins soient un enjeu électoral est une chose. Que ce débat devienne l’élément central des prochaines élections, au détriment d’autres enjeux comme l’environnement, l’éducation ou la question nationale, démontre que l’atmosphère politico-médiatique est actuellement problématique.
La principale erreur du Parti libéral dans ce dossier aura été politique. Comment ne pas avoir anticipé cette crise? Tous les éléments étaient pourtant réunis pour que dégénère la situation: rigueur budgétaire, rattrapage salarial, coupes dans les services, apparence de conflits d’intérêts, réforme autoritaire… Certes, les parties ont négocié de bonne foi en consentant de nombreux compromis, mais le danger réel, autant pour le gouvernement que pour les fédérations médicales, était de braquer une opinion publique déjà échaudée. Embourbé dans une logique de négociation plutôt que dans une logique politique, le gouvernement a oublié l’essentiel: faire preuve de prudence et de leadership en prévision des élections d’octobre 2018.
Au bout du compte, il est néanmoins paradoxal de voir «l’increvable» Parti libéral vaciller sur cette question plutôt que sur l’éthique, la collusion et la corruption. Le PLQ aura résisté à la commission Charbonneau, au financement sectoriel, aux allégations d’enveloppes brunes, mais sera finalement sacrifié sur l’autel de la « rémunération des médecins». Cette situation, avouonsle, envoie un drôle de message.
«Curieusement, le débat sur la rémunération et la profession» productivité des médecins coïncide avec la féminisation de la
Changer de perspective
Depuis l’universalisation des soins de santé, le médecin n’a cessé d’être au centre du système. Il a été au coeur des différentes solutions proposées par les gouvernements au cours des dernières années. «Il faut plus de médecins et plus de productivité», entend-on, comme si les solutions passaient invariablement par la quantité au détriment de la qualité.
En réalité, la problématique est plus large et surtout une question de perspective. Bien sûr, il faut sortir d’un système centré sur le médecin pour laisser place à plus d’interdisciplinarité et à plus de professionnels. Mais il faut surtout avoir à l’esprit que le système québécois fonctionne globalement bien et qu’on ne pourra jamais répondre parfaitement aux exigences croissantes de la société: la dérive du débat médical est aussi là, le médecin doit avoir réponse à tout, tout de suite, peu importe la situation.
La féminisation de la profession médiale est une grande victoire pour la femme. La médecine est d’ailleurs aujourd’hui l’une des professions libérales avec la plus forte proportion de femmes (60 % d’ici 5 ans). Comment ne pas voir là une des plus grandes réussites de la société québécoise et de la démocratisation de l’éducation? Dépasser le patriarcat médical n’est pourtant pas banal, même dans les civilisations occidentales. N’oublions surtout pas qu’il y a à peine cinquante ans, quelques femmes seulement étaient admises dans les facultés de médecine.
Cette transformation systémique entraîne cependant une évolution des pratiques qui n’est pas sans avoir des impacts notamment sur la fameuse «productivité» des médecins. La période 2006-2015 concorde aussi avec l’arrivée de nombreuses femmes médecins qui se sont prévalues du droit d’avoir des enfants, droit qui vient avec ce qui est maintenant convenu de nommer le «congé de maternité». Souhaitons-nous réellement remettre ces acquis en question ?
Curieusement, le débat sur la rémunération et la productivité des médecins coïncide avec la féminisation de la profession, comme s’il était interdit aux femmes d’accéder au statut de hautes salariées. Seraient-ce les derniers relents d’une époque malheureusement pas encore révolue?