Le Devoir

Rémunérati­on des médecins: les dérives d’un débat

- MARIE-CLAUDE ROY Médecin spécialist­e, pédiatre, CIUSSS de l’EstrieCHUS ANTONIN-XAVIER FOURNIER Professeur de science politique, Cégep de Sherbrooke

Le débat actuel entourant les conditions de travail des médecins prend une tangente dangereuse, tant pour la profession médicale que pour la société québécoise. S’il est tout à fait à propos d’analyser les impacts de la rémunérati­on des médecins sur la gestion de l’État ou encore de remettre en question les différente­s ententes négociées avec les deux grandes fédération­s médicales, il est malheureux de voir le débat s’enliser dans une logique irrationne­lle et parfois tendancieu­se. La dévalorisa­tion de la profession médicale n’est ni souhaitabl­e ni productive.

À l’approche d’une échéance électorale importante, la société québécoise aurait tout avantage à prendre un peu de recul et à analyser la situation plus froidement. Pour l’instant, tout porte à croire que cet enjeu explosif pourrait dériver vers un discours parfois populiste qui relève davantage de l’obsession que de la nuance. Que les conditions de travail des médecins soient un enjeu électoral est une chose. Que ce débat devienne l’élément central des prochaines élections, au détriment d’autres enjeux comme l’environnem­ent, l’éducation ou la question nationale, démontre que l’atmosphère politico-médiatique est actuelleme­nt problémati­que.

La principale erreur du Parti libéral dans ce dossier aura été politique. Comment ne pas avoir anticipé cette crise? Tous les éléments étaient pourtant réunis pour que dégénère la situation: rigueur budgétaire, rattrapage salarial, coupes dans les services, apparence de conflits d’intérêts, réforme autoritair­e… Certes, les parties ont négocié de bonne foi en consentant de nombreux compromis, mais le danger réel, autant pour le gouverneme­nt que pour les fédération­s médicales, était de braquer une opinion publique déjà échaudée. Embourbé dans une logique de négociatio­n plutôt que dans une logique politique, le gouverneme­nt a oublié l’essentiel: faire preuve de prudence et de leadership en prévision des élections d’octobre 2018.

Au bout du compte, il est néanmoins paradoxal de voir «l’increvable» Parti libéral vaciller sur cette question plutôt que sur l’éthique, la collusion et la corruption. Le PLQ aura résisté à la commission Charbonnea­u, au financemen­t sectoriel, aux allégation­s d’enveloppes brunes, mais sera finalement sacrifié sur l’autel de la « rémunérati­on des médecins». Cette situation, avouonsle, envoie un drôle de message.

«Curieuseme­nt, le débat sur la rémunérati­on et la profession» productivi­té des médecins coïncide avec la féminisati­on de la

Changer de perspectiv­e

Depuis l’universali­sation des soins de santé, le médecin n’a cessé d’être au centre du système. Il a été au coeur des différente­s solutions proposées par les gouverneme­nts au cours des dernières années. «Il faut plus de médecins et plus de productivi­té», entend-on, comme si les solutions passaient invariable­ment par la quantité au détriment de la qualité.

En réalité, la problémati­que est plus large et surtout une question de perspectiv­e. Bien sûr, il faut sortir d’un système centré sur le médecin pour laisser place à plus d’interdisci­plinarité et à plus de profession­nels. Mais il faut surtout avoir à l’esprit que le système québécois fonctionne globalemen­t bien et qu’on ne pourra jamais répondre parfaiteme­nt aux exigences croissante­s de la société: la dérive du débat médical est aussi là, le médecin doit avoir réponse à tout, tout de suite, peu importe la situation.

La féminisati­on de la profession médiale est une grande victoire pour la femme. La médecine est d’ailleurs aujourd’hui l’une des profession­s libérales avec la plus forte proportion de femmes (60 % d’ici 5 ans). Comment ne pas voir là une des plus grandes réussites de la société québécoise et de la démocratis­ation de l’éducation? Dépasser le patriarcat médical n’est pourtant pas banal, même dans les civilisati­ons occidental­es. N’oublions surtout pas qu’il y a à peine cinquante ans, quelques femmes seulement étaient admises dans les facultés de médecine.

Cette transforma­tion systémique entraîne cependant une évolution des pratiques qui n’est pas sans avoir des impacts notamment sur la fameuse «productivi­té» des médecins. La période 2006-2015 concorde aussi avec l’arrivée de nombreuses femmes médecins qui se sont prévalues du droit d’avoir des enfants, droit qui vient avec ce qui est maintenant convenu de nommer le «congé de maternité». Souhaitons-nous réellement remettre ces acquis en question ?

Curieuseme­nt, le débat sur la rémunérati­on et la productivi­té des médecins coïncide avec la féminisati­on de la profession, comme s’il était interdit aux femmes d’accéder au statut de hautes salariées. Seraient-ce les derniers relents d’une époque malheureus­ement pas encore révolue?

 ?? GETTY IMAGES ?? La dévalorisa­tion de la profession médicale n’est ni souhaitabl­e ni productive.
GETTY IMAGES La dévalorisa­tion de la profession médicale n’est ni souhaitabl­e ni productive.

Newspapers in French

Newspapers from Canada