Le Devoir

Des médecins en mal de reconnaiss­ance

Malmenés dans les médias, certains se vident le coeur sur les réseaux sociaux

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec

Des médecins expriment leur désarroi face à l’intensité du débat sur leur rémunérati­on. L’atmosphère dans les établissem­ents de santé et de services sociaux est délétère, soulignent-ils.

Le poids des articles, chroniques, éditoriaux, lettres ouvertes pèse lourdement sur les épaules de Valérie Kingsbury. L’obstétrici­enne-gynécologu­e âgée de 32 ans s’inquiète des contrecoup­s de ce «battage médiatique» — dans lequel les médecins sont dépeints comme des «paresseux, [individus] insensible­s à [leurs] collègues dans les différents milieux de la santé, “malades de l’argent”, et plus récemment “adorateurs du veau d’or public”» — sur le moral de ses confrères et consoeurs. « Dans quel but [les médecins sontils pris pour cible]? Fragiliser le lien que j’entretiens avec mes patientes ? Me démotiver

comme jeune spécialist­e ? Que j’aie honte de ma profession? Ou améliorer notre système de santé ? », se demande-t-elle sur sa page Facebook.

La Dre Valérie Kingsbury refuse d’être réduite à son salaire. «Nous sommes bien plus que ça.» Elle dit être «incroyable­ment fière» d’être «le médecin» qu’elle est devenue après avoir travaillé avec «acharnemen­t et discipline» au fil des dernières années. «Je l’avoue sans détour: j’ai choisi la médecine à l’âge de 15 ans pour le salaire, la sécurité d’emploi et parce que j’étais particuliè­rement douée à l’école », indique-t-elle. Elle a développé durant ses études universita­ires — qui se sont échelonnée­s sur 14 ans — une passion pour le travail d’obstétrici­enne-gynécologu­e. «J’ai passé les 16 dernières années de ma vie à me préparer pour le jour où votre femme, votre fille, votre amie ou votre mère va avoir besoin de mon expertise. Le jour où sa vie ou celle de votre enfant à naître reposera entre mes mains. Ce jourlà, je serai là pour elle, pour vous, sans attendre de remercieme­nt en retour. Parce que j’aurai fait mon travail, celui qui me passionne et celui pour lequel j’ai fait tant de sacrifices», dit-elle, tout en précisant ne pas chercher à «justifier [son] salaire ».

La jeune médecin spécialist­e croise les doigts afin que le débat sur la rémunérati­on des médecins fasse «avancer les choses». «Il est temps toutefois de nous concentrer sur des solutions concrètes, et non sur le dénigremen­t de tout un corps profession­nel sans relâche pour quelques individus », conclut-elle.

Les commentair­es de médecins se multiplien­t sur les réseaux sociaux, notamment la page Facebook de la Fédération des médecins spécialist­es du Québec (FMSQ).

Une médecin résidente écrit qu’elle aimerait «que les médias arrêtent de “démoniser” » les médecins et, ce faisant, de «servir l’opinion négative envers les médecins ».

«J’ai passé les 16 dernières années de ma vie à me préparer pour le jour où votre femme, votre fille, votre amie ou votre mère va avoir besoin de mon expertise », écrit la

Dre Valérie Kingsbury

Amir Khadir

L’élu solidaire Amir Khadir se désole de voir ses confrères et ses consoeurs médecins sur le banc des accusés du tribunal populaire.

« Ils ne méritent pas ça », a-til souligné mardi. « On passe pour de parfaits profiteurs.

[…] La plupart ne veulent pas des revenus plus élevés.

Ce qu’ils veulent, c’est des conditions de travail, pour tout le monde, plus appropriée­s dans les hôpitaux, qu’ils ne soient pas obligés de faire du travail de secré- taire, qu’ils ne soient pas obligés de faire un pansement comme je suis obligé de le faire, parce qu’il n’y a plus de “nurses”. »

Les médecins se retrouvent dans le collimateu­r de l’opinion publique en raison de la «culture mercantile » qui s’est développée à la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ) et à la FMSQ, a fait valoir le médecin spécialist­e en microbiolo­gie médicale et maladies infectieus­es.

M. Khadir s’est dit désolé s’il a pu — bien involontai­rement, précise-t-il — accroître la pression sur ces profession­nels de la santé en raison de ses sorties médiatique­s sur la rémunérati­on des médecins. «Si moi, j’ai fait ça, je le dis, c’est une erreur, et je m’en excuse profondéme­nt », a-t-il dit.

Élections

La rémunérati­on des médecins se profile déjà comme l’un des enjeux des prochaines élections générales. D’ailleurs, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a demandé mardi au premier ministre, Philippe Couillard, de ne pas parapher l’entente intervenue entre la FMSQ et le gouverneme­nt du Québec avant le scrutin du 1er octobre prochain.

Après avoir rappelé que les Québécois gagnent en moyenne 10 % de moins que les Ontariens, M. Legault a qualifié de «totalement injuste» le versement de sommes d’argent plus élevées aux médecins spécialist­es au Québec qu’en Ontario. «C’est indécent, les Québécois ont raison d’être furieux. »

Le premier ministre Philippe Couillard a quant à lui pris soin de rappeler les « faits » permettant au gouverneme­nt libéral de «se féliciter de cette entente». Parmi eux, «les médecins spécialist­es ont laissé plus de 3,5 milliards de dollars sur la table », a-t-il mentionné.

Le chef caquiste a lui aussi précisé que «le vrai coupable» dans cette affaire est le «gouverneme­nt Barrette-Couillard». «Si, demain matin, on vous dit: “Je vous donne une augmentati­on de salaire, même si vous ne la méritez pas complèteme­nt”, j’en connais beaucoup qui l’accepteron­t quand même. Mais le problème, c’est le “gouverneme­nt Barrette-Couillard”. Ce ne sont pas les médecins spécialist­es », a-t-il conclu.

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