Des médecins en mal de reconnaissance
Malmenés dans les médias, certains se vident le coeur sur les réseaux sociaux
Des médecins expriment leur désarroi face à l’intensité du débat sur leur rémunération. L’atmosphère dans les établissements de santé et de services sociaux est délétère, soulignent-ils.
Le poids des articles, chroniques, éditoriaux, lettres ouvertes pèse lourdement sur les épaules de Valérie Kingsbury. L’obstétricienne-gynécologue âgée de 32 ans s’inquiète des contrecoups de ce «battage médiatique» — dans lequel les médecins sont dépeints comme des «paresseux, [individus] insensibles à [leurs] collègues dans les différents milieux de la santé, “malades de l’argent”, et plus récemment “adorateurs du veau d’or public”» — sur le moral de ses confrères et consoeurs. « Dans quel but [les médecins sontils pris pour cible]? Fragiliser le lien que j’entretiens avec mes patientes ? Me démotiver
comme jeune spécialiste ? Que j’aie honte de ma profession? Ou améliorer notre système de santé ? », se demande-t-elle sur sa page Facebook.
La Dre Valérie Kingsbury refuse d’être réduite à son salaire. «Nous sommes bien plus que ça.» Elle dit être «incroyablement fière» d’être «le médecin» qu’elle est devenue après avoir travaillé avec «acharnement et discipline» au fil des dernières années. «Je l’avoue sans détour: j’ai choisi la médecine à l’âge de 15 ans pour le salaire, la sécurité d’emploi et parce que j’étais particulièrement douée à l’école », indique-t-elle. Elle a développé durant ses études universitaires — qui se sont échelonnées sur 14 ans — une passion pour le travail d’obstétricienne-gynécologue. «J’ai passé les 16 dernières années de ma vie à me préparer pour le jour où votre femme, votre fille, votre amie ou votre mère va avoir besoin de mon expertise. Le jour où sa vie ou celle de votre enfant à naître reposera entre mes mains. Ce jourlà, je serai là pour elle, pour vous, sans attendre de remerciement en retour. Parce que j’aurai fait mon travail, celui qui me passionne et celui pour lequel j’ai fait tant de sacrifices», dit-elle, tout en précisant ne pas chercher à «justifier [son] salaire ».
La jeune médecin spécialiste croise les doigts afin que le débat sur la rémunération des médecins fasse «avancer les choses». «Il est temps toutefois de nous concentrer sur des solutions concrètes, et non sur le dénigrement de tout un corps professionnel sans relâche pour quelques individus », conclut-elle.
Les commentaires de médecins se multiplient sur les réseaux sociaux, notamment la page Facebook de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).
Une médecin résidente écrit qu’elle aimerait «que les médias arrêtent de “démoniser” » les médecins et, ce faisant, de «servir l’opinion négative envers les médecins ».
«J’ai passé les 16 dernières années de ma vie à me préparer pour le jour où votre femme, votre fille, votre amie ou votre mère va avoir besoin de mon expertise », écrit la
Dre Valérie Kingsbury
Amir Khadir
L’élu solidaire Amir Khadir se désole de voir ses confrères et ses consoeurs médecins sur le banc des accusés du tribunal populaire.
« Ils ne méritent pas ça », a-til souligné mardi. « On passe pour de parfaits profiteurs.
[…] La plupart ne veulent pas des revenus plus élevés.
Ce qu’ils veulent, c’est des conditions de travail, pour tout le monde, plus appropriées dans les hôpitaux, qu’ils ne soient pas obligés de faire du travail de secré- taire, qu’ils ne soient pas obligés de faire un pansement comme je suis obligé de le faire, parce qu’il n’y a plus de “nurses”. »
Les médecins se retrouvent dans le collimateur de l’opinion publique en raison de la «culture mercantile » qui s’est développée à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et à la FMSQ, a fait valoir le médecin spécialiste en microbiologie médicale et maladies infectieuses.
M. Khadir s’est dit désolé s’il a pu — bien involontairement, précise-t-il — accroître la pression sur ces professionnels de la santé en raison de ses sorties médiatiques sur la rémunération des médecins. «Si moi, j’ai fait ça, je le dis, c’est une erreur, et je m’en excuse profondément », a-t-il dit.
Élections
La rémunération des médecins se profile déjà comme l’un des enjeux des prochaines élections générales. D’ailleurs, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a demandé mardi au premier ministre, Philippe Couillard, de ne pas parapher l’entente intervenue entre la FMSQ et le gouvernement du Québec avant le scrutin du 1er octobre prochain.
Après avoir rappelé que les Québécois gagnent en moyenne 10 % de moins que les Ontariens, M. Legault a qualifié de «totalement injuste» le versement de sommes d’argent plus élevées aux médecins spécialistes au Québec qu’en Ontario. «C’est indécent, les Québécois ont raison d’être furieux. »
Le premier ministre Philippe Couillard a quant à lui pris soin de rappeler les « faits » permettant au gouvernement libéral de «se féliciter de cette entente». Parmi eux, «les médecins spécialistes ont laissé plus de 3,5 milliards de dollars sur la table », a-t-il mentionné.
Le chef caquiste a lui aussi précisé que «le vrai coupable» dans cette affaire est le «gouvernement Barrette-Couillard». «Si, demain matin, on vous dit: “Je vous donne une augmentation de salaire, même si vous ne la méritez pas complètement”, j’en connais beaucoup qui l’accepteront quand même. Mais le problème, c’est le “gouvernement Barrette-Couillard”. Ce ne sont pas les médecins spécialistes », a-t-il conclu.