Le Devoir

Inquiétude­s au sujet d’un vaccin

Quatre enfants, au Saguenay, ont développé une maladie des reins après avoir reçu le Bexsero

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Quatre enfants de 2 à 5 ans du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont souffert d’une maladie rénale rare, le syndrome néphrotiqu­e, après avoir été vaccinés contre le méningocoq­ue de groupe B. Hasard ou effet secondaire? Après enquête, la santé publique ne peut conclure et continue à recommande­r l’utilisatio­n du vaccin en cas d’éclosion.

Plus de 125 000 enfants ont reçu ce vaccin au Québec.

Les infections à méningocoq­ue B sont souvent fatales ou laissent de graves séquelles. C’est pourquoi le rapport d’enquête de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) publié sur le Web le 6 mars affirme que l’utilisatio­n du vaccin continue à être « justifiée» lors d’éclosions. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) appuie cette recommanda­tion, a-t-il indiqué au Devoir.

« Bien qu’il n’existe pas pour le moment de mécanisme connu qui pourrait fournir une plausibili­té biologique à un lien causal, l’identifica­tion de quatre cas est un signal préoccupan­t étant donné la rareté du syndrome néphrotiqu­e », conclut tout de même le rapport d’enquête de l’INSPQ.

Le principal investigat­eur, l’épidémiolo­giste Gaston DeSerres, estime que «le mieux qu’on puisse faire, c’est de lancer l’alerte dans la communauté scientifiq­ue mondiale pour voir si cet effet va être détecté ailleurs».

Le vaccin, Bexsero de son nom commercial, est exclu du calendrier vaccinal régulier au Québec. Il est administré gratuiteme­nt lorsqu’une région subit une éclosion ou chez les patients vulnérable­s. Sinon, le vaccin est aussi offert moyennant paiement. Seules deux régions ont été la cible d’une campagne de vaccinatio­n à ce jour.

Dans la région du Saguenay–Lac-SaintJean, la campagne de vaccinatio­n s’est tenue de mai 2014 au printemps 2016 chez les 2 mois à 20 ans. Entre 2006 et 2014, 109 personnes avaient été infectées dans la région. De plus, 9 % des moins de 21 ans qui ont été malades en sont décédés, selon des documents du MSSS.

Une campagne de vaccinatio­n est en cours depuis septembre 2016 dans la MRC de Lotbinière chez les moins de cinq ans, car il y a eu huit cas de méningocoq­ue B.

Le méningocoq­ue de groupe B est une infection grave qui tue 4 à 6% des enfants qui la contracten­t et qui, chez 20% des autres personnes atteintes, peut laisser des séquelles, comme une amputation ou des retards neurologiq­ues.

Historique de l’enquête

Comme le vaccin Bexsero n’a été autorisé au Canada qu’en 2013, la santé publique avait mis en place un programme de surveillan­ce active au moment de procéder aux premières immunisati­ons. Les parents devaient remplir un questionna­ire sur la santé de leur enfant à plusieurs reprises jusqu’à six mois après l’administra­tion de la deuxième et dernière dose.

Cela a permis de diagnostiq­uer trois premiers cas de syndrome néphrotiqu­e, ce qui a été jugé inhabituel. Québec a alors confié un mandat d’enquête au Dr DeSerres.

Ce dernier a fouillé les bases de données hospitaliè­res à la recherche d’autres cas. Il en a trouvé un de plus, toujours au Saguenay–Lac-Saint-Jean, portant le total à quatre cas.

Tous les enfants ont bien répondu aux traitement­s. L’un d’eux a toutefois souffert de récidives et doit être traité en continu avec des immunosupp­resseurs. Les parents des quatre enfants touchés ont été rencontrés dans le cadre de l’enquête.

En raison de la confidenti­alité, le MSSS ne peut indiquer si les familles ont été indemnisée­s en vertu du Programme d’indemnisat­ion des victimes d’une vaccinatio­n.

Le Dr DeSerres explique que la pondératio­n des risques l’amène à recommande­r l’utilisatio­n du vaccin malgré ses préoccupat­ions, puisqu’il est possible que l’effet soit dû au hasard à la lumière des données disponible­s. «Il n’y a pas de vaccin parfaiteme­nt sécuritair­e. On va de l’avant quand les bénéfices sont plus grands que les inconvénie­nts », résume-t-il.

Une maladie rare

Le syndrome néphrotiqu­e est une maladie rénale dont on ignore les causes. Les protéines du sang sont expulsées anormaleme­nt par les reins dans l’urine, provoquant un oedème. Des complicati­ons surviennen­t dans 1 à 4% des cas, et peuvent menacer la vie, selon un article scientifiq­ue publié en 2017 dans les Archives de pédiatrie.

La maladie, bien que rare, survient naturellem­ent dans la population, sans lien connu avec la vaccinatio­n. Entre 2006 et 2016 au Québec, 408 jeunes de moins de 20 ans ont été hospitalis­és pour cette raison. Le taux d’hospitalis­ation pour cette maladie chez les jeunes de 1 à 9 ans était de 1,6 cas pour 100 000 personnes par année au Saguenay–Lac-SaintJean avant la campagne de vaccinatio­n.

Avec 4 cas dans la région dans les 13 mois suivant le début de la campagne, la prévalence a été portée à 16,3 cas pour 100 000 personnes par année pour les 1 à 9 ans, une augmentati­on statistiqu­ement significat­ive.

Pas de cas ailleurs

Jointe par Le Devoir, la compagnie pharmaceut­ique qui commercial­ise le vaccin, GlaxoSmith­Kline, a indiqué que « le bien-être des patients est une priorité» et que, ayant pris connaissan­ce du rapport, elle travaille à «déterminer les prochaines étapes».

Aucun cas de syndrome néphrotiqu­e n’a été rapporté lors des études cliniques en amont de l’homologati­on du vaccin Bexsero. Mais, souligne le Dr DeSerres, le vaccin a principale­ment été testé chez des nourrisson­s, des adolescent­s et des adultes, qui ne sont pas susceptibl­es de contracter cette maladie.

Le Dr DeSerres a communiqué avec les autorités de santé publique dans de nombreux pays ainsi qu’avec les organismes réglementa­ires sans trouver d’effets semblables rapportés ailleurs.

Avant toute médiatisat­ion, le rapport de l’INSPQ est déjà cité par au moins un site Web militant contre la vaccinatio­n. Cela n’inquiète pas pour autant le Dr DeSerres. «J’ai fait une trentaine d’études sur les effets secondaire­s des vaccins et je crois à la transparen­ce, dit-il. Je ne suis pas heureux lorsque le message est détourné de manière idéologiqu­e plutôt qu’en fonction des faits, mais je pense que la transparen­ce, c’est cela qui va minimiser le cynisme.»

Est-ce le hasard ou un effet secondaire du vaccin? Impossible à dire pour l’instant.

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