Des manquements au processus démocratique
Depuis le début de la vague de fermetures chez Desjardins, il m’a semblé crucial de distinguer le bien-fondé de la rationalisation des services de la façon dont les caisses s’y prennent pour la mener à bien.
C’est pourquoi je laisserai les citoyens les plus affectés par les fermetures de leur guichet ou de leur caisse faire valoir euxmêmes leurs arguments, qui sont légitimes. Pour ma part, j’en ai davantage contre la procédure entourant ces fermetures.
Il y a quelques années, j’ai assisté à l’assemblée générale de ma caisse à l’occasion de la fermeture-surprise de plusieurs succursales et guichets à la suite d’une fusion. Cette pratique de dissimulation des buts réels des fusions a eu cours partout au Québec et a même poussé le député caquiste de Nicolet-Bécancour, Donald Martel, à déposer une pétition en 2014 pour l’encadrer.
En effet, en vertu de la loi, les administrateurs locaux n’ont de pouvoir que sur les «affaires courantes» des caisses. Mais les membres présents ont vite réalisé que les administrateurs considéraient que la décision de fermer une succursale relevait de leur seul privilège, quitte à ignorer la loi et les règles de procédures d’assemblée. D’ailleurs, je n’ai entendu parler d’aucun cas où des membres d’une caisse ont pu empêcher sa fermeture devant la volonté de leurs propres fiduciaires. L’Autorité des marchés financiers, bien au fait de la situation, demeure passive.
Desjardins est l’une des entreprises les plus puissantes au Québec, économiquement et politiquement. Ses dirigeants ont un ascendant important sur le développement économique, les programmes sociaux, les lois, les projets collectifs. Aussi, le processus démocratique devrait revêtir une grande importance dans les décisions prises par Desjardins. Or, les méthodes qu’elle emploie, comme la fermeture de guichets à quelques jours d’avis, semblent spécialement conçues pour saper toute solution constructive issue à la fois des populations desservies et des caisses.
Vu cette attitude, le débat sur la rentabilité des services n’est pas pertinent puisqu’il ne vise pas à convaincre les membres-propriétaires de trouver des remèdes ou d’avaliser une décision, mais seulement d’en prendre acte. En témoigne le refus systématique et parfois invraisemblable de toute proposition des collectivités au profit des projets pilotes conçus au siège lévisien.
Le lien d’attachement de la population qui a fait la force de Desjardins est présentement atteint et représente, il me semble, un intérêt plus stratégique que viser le meilleur ratio de capitaux propres de la planète. Dans cette veine, on rappellera aux enthousiastes de la rationalisation qu’on ne renforce jamais la pérennité d’une organisation collective avec des leaders forts, mais avec des institutions fortes.
Car si un mode opératoire pour le moins expéditif est présentement mis au service de la rationalisation du réseau de caisses, qui sait quels sont les actes qui seront demain accomplis en notre nom avec la même vigueur aveugle et unilatérale? Aujourd’hui, Desjardins tire profit, dans la réalisation de ses objectifs, de l’absence de contre-pouvoirs, de la division et de l’impuissance de ses propres membres devant des situations juridiquement très contestables. Ceux qui l’appuient dans son projet actuel doivent se rappeler que l’enjeu des rationalisations est ponctuel. Lorsque nous aurons renoncé à nos prérogatives démocratiques pour faire avancer cet objectif de court terme, comment nous ferons-nous entendre ?