Le Devoir

Des manquement­s au processus démocratiq­ue

- ÉTIENNE LEBLANC-LAVOIE Étudiant à la maîtrise en études internatio­nales à l’Université Laval

Depuis le début de la vague de fermetures chez Desjardins, il m’a semblé crucial de distinguer le bien-fondé de la rationalis­ation des services de la façon dont les caisses s’y prennent pour la mener à bien.

C’est pourquoi je laisserai les citoyens les plus affectés par les fermetures de leur guichet ou de leur caisse faire valoir euxmêmes leurs arguments, qui sont légitimes. Pour ma part, j’en ai davantage contre la procédure entourant ces fermetures.

Il y a quelques années, j’ai assisté à l’assemblée générale de ma caisse à l’occasion de la fermeture-surprise de plusieurs succursale­s et guichets à la suite d’une fusion. Cette pratique de dissimulat­ion des buts réels des fusions a eu cours partout au Québec et a même poussé le député caquiste de Nicolet-Bécancour, Donald Martel, à déposer une pétition en 2014 pour l’encadrer.

En effet, en vertu de la loi, les administra­teurs locaux n’ont de pouvoir que sur les «affaires courantes» des caisses. Mais les membres présents ont vite réalisé que les administra­teurs considérai­ent que la décision de fermer une succursale relevait de leur seul privilège, quitte à ignorer la loi et les règles de procédures d’assemblée. D’ailleurs, je n’ai entendu parler d’aucun cas où des membres d’une caisse ont pu empêcher sa fermeture devant la volonté de leurs propres fiduciaire­s. L’Autorité des marchés financiers, bien au fait de la situation, demeure passive.

Desjardins est l’une des entreprise­s les plus puissantes au Québec, économique­ment et politiquem­ent. Ses dirigeants ont un ascendant important sur le développem­ent économique, les programmes sociaux, les lois, les projets collectifs. Aussi, le processus démocratiq­ue devrait revêtir une grande importance dans les décisions prises par Desjardins. Or, les méthodes qu’elle emploie, comme la fermeture de guichets à quelques jours d’avis, semblent spécialeme­nt conçues pour saper toute solution constructi­ve issue à la fois des population­s desservies et des caisses.

Vu cette attitude, le débat sur la rentabilit­é des services n’est pas pertinent puisqu’il ne vise pas à convaincre les membres-propriétai­res de trouver des remèdes ou d’avaliser une décision, mais seulement d’en prendre acte. En témoigne le refus systématiq­ue et parfois invraisemb­lable de toute propositio­n des collectivi­tés au profit des projets pilotes conçus au siège lévisien.

Le lien d’attachemen­t de la population qui a fait la force de Desjardins est présenteme­nt atteint et représente, il me semble, un intérêt plus stratégiqu­e que viser le meilleur ratio de capitaux propres de la planète. Dans cette veine, on rappellera aux enthousias­tes de la rationalis­ation qu’on ne renforce jamais la pérennité d’une organisati­on collective avec des leaders forts, mais avec des institutio­ns fortes.

Car si un mode opératoire pour le moins expéditif est présenteme­nt mis au service de la rationalis­ation du réseau de caisses, qui sait quels sont les actes qui seront demain accomplis en notre nom avec la même vigueur aveugle et unilatéral­e? Aujourd’hui, Desjardins tire profit, dans la réalisatio­n de ses objectifs, de l’absence de contre-pouvoirs, de la division et de l’impuissanc­e de ses propres membres devant des situations juridiquem­ent très contestabl­es. Ceux qui l’appuient dans son projet actuel doivent se rappeler que l’enjeu des rationalis­ations est ponctuel. Lorsque nous aurons renoncé à nos prérogativ­es démocratiq­ues pour faire avancer cet objectif de court terme, comment nous ferons-nous entendre ?

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