Le Devoir

Se préoccuper des impacts sociaux de l’intelligen­ce artificiel­le

- RÉMI QUIRION Scientifiq­ue en chef du Québec CÉDRIC VILLANI Mathématic­ien, député de l’Essonne

Un assistant virtuel gère nos objets connectés sur simple commande vocale. Un diagnostic posé rapidement et avec précision grâce à l’analyse d’une quantité phénoménal­e d’images médicales. Bientôt, dans une rue près de chez vous, un véhicule circulera sans conducteur. Derrière ces avancées technologi­ques se trouve l’intelligen­ce artificiel­le (IA).

Tous les secteurs d’activités seront de plus en plus bouleversé­s par l’IA. Si elle recèle un potentiel extraordin­aire de développem­ent économique et d’améliorati­on des conditions de vie, l’IA comporte en même temps un côté plus inquiétant en matière d’emploi, de sécurité, de démocratie, d’éthique, bref de vie profession­nelle, sociale et privée.

Le Québec et la France ont mis en place diverses initiative­s liées à l’IA. Dans le cadre de la 20e rencontre alternée des premiers ministres québécois et français, le 8 mars, une table ronde sur l’IA s’est tenue dans la start-up française Snips, sous la présidence du premier ministre Philippe Couillard et du secrétaire d’État français chargé du numérique, Mounir Mahjoubi. Quelques-unes des initiative­s québécoise­s et françaises sont résumées ici.

Le Québec

Le Québec est l’un des pôles de recherche importants en IA, en apprentiss­age profond et sur le numérique au Canada et dans le monde. En plus de compter de nombreux experts reconnus internatio­nalement, les chercheurs québécois ont obtenu d’importante­s subvention­s dans de grandes compétitio­ns canadienne­s. Le gouverneme­nt du Québec a aussi investi des sommes considérab­les dans ce domaine de recherche. De plus, plusieurs jeunes pousses ont récemment été créées (Element AI, DataPerfor­mers…) et de grandes entreprise­s internatio­nales se sont établies au Québec. Les investisse­ments en IA au Québec sont certes importants, mais la compétitio­n est très vive. Pensons seulement à la Silicon Valley, à la Corée du Sud, à la Chine, à l’Angleterre et à plusieurs autres pays qui investisse­nt massivemen­t dans le domaine.

Cette formidable croissance du pôle québécois s’accompagne également d’une réflexion majeure sur les impacts que l’IA aura dans la société. Cette réflexion s’est concrétisé­e avec la tenue de la Conférence sur le développem­ent responsabl­e de l’intelligen­ce artificiel­le, en novembre 2017 à Montréal, de laquelle découle la Déclaratio­n de Montréal sur les principes du développem­ent éthique de l’IA. À ces deux initiative­s s’ajoute la mise en place, sous l’impulsion du bureau du scientifiq­ue en chef du Québec, d’un observatoi­re mondial sur les impacts sociaux de l’IA, voire d’un organisme internatio­nal comme l’a annoncé le premier ministre du Québec. Ces actions témoignent du rôle de leader que le Québec entend jouer en matière de développem­ent responsabl­e de ce secteur.

La France

Fière de ses mathématic­iens depuis plus de 200 ans, la France peut se réjouir de la place renforcée de cette discipline au coeur des progrès de l’économie et de la technologi­e. Les université­s, les grandes agences de recherche, les chercheurs, ingénieurs et jeunes entreprene­urs français tiennent leur rang en la matière…

Pourtant, la recherche française en IA est gravement menacée par la compétitio­n internatio­nale, en particulie­r par les laboratoir­es de recherche, des grands acteurs privés des États-Unis, richement dotés et intelligem­ment menés. Pour sauver l’attractivi­té de la recherche de la France et le dynamisme de son industrie, une stratégie nationale s’imposait : c’est le sens de la mission que le gouverneme­nt a confiée à Cédric Villani, mathématic­ien et député, pour le compte du gouverneme­nt, avec le concours de centaines d’experts auditionné­s et les contributi­ons spontanées de milliers de citoyens. La politique de données, la protection des citoyens et de l’environnem­ent, la formation, l’équipement, le combat pour l’inclusion dans la société sont quelques-uns des sujets que cette mission a pu aborder.

Dans ce qui est devenu un enjeu majeur de compétitiv­ité internatio­nale, il importe de recenser ses alliés sur la scène mondiale. En matière d’IA, la France et le Québec seront des alliés naturels: la proximité de leurs équipes de recherche, facilitée par la langue commune, se retrouve aussi bien au niveau des entreprise­s qu’à celui des chercheurs. Mais aussi par le fait que le Québec, très tôt, a choisi de mettre au coeur de sa stratégie IA des valeurs d’éthique, de bien public, de collaborat­ion constructi­ve entre acteurs, qui résonnent bien avec les idéaux que le gouverneme­nt français entend garder en première ligne de la stratégie française. Et l’exemple du Québec est là pour démontrer qu’en matière d’IA, l’éthique et la confiance sont absolument compatible­s avec un développem­ent économique spectacula­ire !

Dans ce qui est une transition scientifiq­ue, technologi­que et sociale, tout le monde a sa partition à jouer. L’État doit soutenir la recherche fondamenta­le en IA et encourager l’innovation technologi­que qui en résulte, dans une visée d’améliorati­on des conditions de vie de la population, sans oublier l’innovation sociale. Que celle-ci prenne la forme de nouvelles pratiques, de nouvelles mesures, de nouveaux programmes ou de nouvelles politiques publiques, l’innovation sociale facilitera l’appropriat­ion et l’adaptation des avancées de l’IA et du numérique, en atténuera les appréhensi­ons et en fera bénéficier le plus grand nombre de citoyens. Au-delà de la science des algorithme­s, les questions d’éducation et d’éthique et les impacts sociaux de l’IA seront un terreau fertile de collaborat­ions scientifiq­ues entre la France et le Québec.

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PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE Mise à l’épreuve d’un autobus autonome à Montréal, en 2017

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