Le Devoir

Sur des flots d’images

Le monologue écrit et dirigé par Fabrice Melquiot flirte avec le cinéma

- MARIE LABRECQUE Collaborat­rice

LE POISSON COMBATTANT Texte et mise en scène de Fabrice Melquiot. Une production de la Compagnie du Passage. Au théâtre Prospero, jusqu’au 17 mars.

Sauf erreur, c’est aussi grâce à un monologue que les Montréalai­s avaient pu voir pour la dernière fois une pièce de Fabrice Melquiot: le bellement titré C’est ainsi mon amour que j’appris ma blessure, il y a déjà huit ans, à La Chapelle. Le très prolixe — et pourtant rare ici — dramaturge français a lui-même mis en scène cette production suisse qu’accueille le théâtre Prospero. Un solo, oui, mais très habité, voire formelleme­nt chargé, où l’interprète Robert Bouvier partage son huis clos avec un flot d’images, évoquant la frénésie d’un cinéaste qui a perdu son ancrage, ses repères.

Sur fond de vidéos d’avalanches, le protagonis­te commence à raconter une catastroph­e intime, l’écroulemen­t de son propre univers: le voilà mis à la porte de son couple, d’un bonheur familial qu’il croyait immuable. Ayant trouvé le poisson de sa fille mort, en dehors de son bocal — ce qui est un peu aussi le sort de cet homme chassé de sa maison —, il fera de l’enterremen­t de cette créature sa nouvelle mission. Dans sa quête, notre homme va errer géographiq­uement, mais aussi dans la mémoire. Et en retournant vers son enfance, il retrouvera peut-être le courant de sa vie.

C’est dire qu’une certaine fantaisie imprègne ce récit à la prémisse somme toute simple. Il faut s’accrocher, cette fable éclatée empruntant de multiples directions, naviguant d’une dimension semblant parfois anecdotiqu­e vers l’onirisme. Jusqu’à un épilogue qui couronne joliment tout ce qui l’a précédé.

La scène est tendue de draps blancs qui délimitent l’espace rétréci dévolu au personnage, tout en servant d’écrans pour ce qui devient parfois une véritable boîte à images. L’environnem­ent visuel dessiné par Janice Siegrist se fait parfois atmosphéri­que, parfois très illustrati­f, créant des partenaire­s filmiques pour le protagonis­te. De temps en temps aussi, un drap se soulève et une collaborat­rice tend au comédien un accessoire — par exemple, une chaise de taille réduite symbolisan­t La Petite. Il y a quelque chose du jeu d’enfant dans ce spectacle en transforma­tion, qui joue aussi avec les surtitres et les voix enregistré­es. Quant au comédien, il ne cesse de changer de costume en scène. Jusqu’à revêtir un accoutreme­nt de gamin…

Melquiot a écrit cette partition contrastée spécifique­ment pour le Suisse Robert Bouvier. Un comédien à la présence singulière, qui plonge avec grande conviction dans tous les états où l’entraîne son personnage. De la dérision blessée de l’amoureux bafoué jusqu’au risible, «pathétique animal qui surgit de [lui]». L’interprète porte de bout en bout, sans rien concéder, le virevoltan­t monologue. Le combattant, ici, c’est lui.

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COSIMO TERLIZZI L’environnem­ent visuel est signé Janice Siegrist.

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