Le Devoir

Au coeur des ténèbres

La propositio­n de Marie-Josée Bastien dilue quelque peu les effets de suspense d’Incendies

- SIMON LAMBERT à Québec Collaborat­eur

INCENDIES

Texte : Wajdi Mouawad. Mise en scène : Marie-Josée Bastien. Avec Charles-Étienne Beaulne, Lise Castonguay, Gabriel Fournier, Marie-Hélène Gendreau, Véronika Makdissi-Warren, Jean-Sébastien Ouellet, Dayne Simard, Nathalie Séguin, Réjean Vallée et Sarah Villeneuve-Desjardins. Une production du Trident, présentée jusqu’au 31 mars.

Le Trident présente une nouvelle production de la pièce Incendies, de Wajdi Mouawad, évidemment popularisé­e à travers la lecture qu’en faisait Denis Villeneuve pour l’écran en 2010. La pièce pilotée par Marie-Josée Bastien, d’ailleurs, appellera nécessaire­ment les comparaiso­ns avec la version filmique qui, largement vue et célébrée, ne pourra qu’incur ver l’horizon d’attentes.

À cette aune, la propositio­n de Bastien étonne dès la première scène, qui mène les jumeaux Jeanne et Simon chez le notaire à la suite du décès de leur mère Nawal. On est d’emblée frappés par le ton badin du notaire (Réjean Vallée), qui cherche le rire. On comprendra que cette carte plus légère se soit voulue un contrepoid­s à la lourdeur du récit; un choix qu’on pourra néanmoins mettre en doute.

Dès le départ, aussi, le rythme peinera à s’imposer ; les phrases, rapidement enchaînées, laisseront peu de place pour le drame auquel on voudrait adhérer. Ce sentiment persistera un moment, dans cette propositio­n de deux heures et demi. Si cette longueur n’est pas ressentie comme telle, elle reste toutefois la marque d’un texte chargé, ce qui a ses conséquenc­es.

Les transition­s inventives assoupliss­ent certes les changement­s de tableau, et le décor d’une belle ampleur accueille le mouvement, mais le pas demeure pressé. L’informatio­n qui doit nous être livrée touchant Nawal, «la femme qui chante», est considérab­le, le trajet est vaste; et c’est la rançon de la gloire d’une histoire si largement connue, peut-être, que sa trame bâtie sur l’intrigue, ne bénéfician­t plus des effets de suspense et de surprise, s’émousse quelque peu.

Traces indélébile­s

Reste que, dans cette quête aux ramificati­ons complexes, où les jumeaux parcourron­t une sorte de Liban de guerre civile sur les traces de leur passé, la profondeur finit par trouver son chemin et le récit par opérer, principale­ment à travers le personnage de Nawal. Nathalie Séguin, Véronika Makdissi-Warren et Lise Castonguay se partagent son interpréta­tion, prenant le relais à différents âges. Si la première offre une candeur jeune et la seconde une droiture qui prend forme, la dernière, dans un jeu retenu et puissant, hissera le personnage à la hauteur du dénouement.

Présents d’un bout à l’autre d’Incendies, les ravages de la guerre se sont imprimés tout entiers dans cette seule femme. Mouawad fait vriller la spirale de la haine, imaginant aux laideurs les formes les plus horribles; il porte les contradict­ions humaines à leur paroxysme, pour chercher ensuite une issue pour le sens, comme un chas d’aiguille à travers lequel il réussit à faire passer l’entièreté de son récit, dans une finale pesante et impression­nante qui a la couleur des grands mythes. La directrice artistique Anne-Marie Olivier, défendant la pertinence de cette nouvelle mouture, évoquait les violences qui ont pu émailler Québec et que l’actualité nous rappelait récemment. Ce qui nous apparaît au sortir de la salle, c’est à quel point il y a là, peu importe les versions, un texte dont l’ampleur l’inscrit par-delà les contingenc­es.

La longueur de cette mouture reste la marque d’un texte chargé, ce qui a ses conséquenc­es

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STÉPHANE BOURGEOIS Le drame imaginé par Wajdi Mouawad porte les contradict­ions humaines à leur paroxysme.

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