Le Devoir

Les agences de notation impassible­s

Le remboursem­ent anticipé d’une partie de la dette à même le Fonds des génération­s n’influencer­a pas la note du Québec

- MARIE-MICHÈLE SIOUI FRANÇOIS DESJARDINS

Les agences de notation accordent une importance négligeabl­e à la «nouvelle historique» que constitue selon les libéraux la nouvelle gestion de la dette, qui sera remboursée à raison de deux milliards de dollars par an par le biais de ponctions au Fonds des génération­s.

Le premier ministre, Philippe Couillard, et le ministre des Finances, Carlos Leitão, ont annoncé mercredi une mesure phare du prochain budget du Québec, qui sera déposé le 27 mars.

À partir de 2018-2019, et pour une période de cinq ans, Québec puisera 2 milliards par année à même le Fonds des génération­s afin de rembourser une partie de la dette, qui s’élève à 203,5 milliards, ce qui représente

51,9% du produit intérieur brut au Québec (PIB). Le ratio dette/PIB passera donc

«sous les 50% dès l’an prochain» et à 45% en 20222023, s’est réjoui le premier ministre, évoquant une «nouvelle importante», et

« même historique ».

À ses côtés, le ministre

Leitão a terminé son allocution en évoquant « a new debt management strategy »; une stratégie de gestion de la dette qu’il a pris la peine d’expliquer une seconde fois en anglais, afin d’attirer l’attention des agences de notation.

«On veut que les agences de notation, les agences de crédit entendent cette mesure de façon isolée dans l’espace médiatique, plutôt que perdue dans un budget où il faut aller chercher et fouiller», a ajouté Philippe Couillard, quand des journalist­es ont souligné qu’il n’avait pas l’habitude de présenter les grandes lignes

«On veut être certain que le message est bien entendu sur les places fortes financière­s»

Philippe

Couillard

de son budget plusieurs jours avant son dépôt. «On veut être certain que le message est bien entendu sur les places fortes financière­s», a-t-il affirmé.

Peu d’impacts

Sauf que la décision de destiner une partie du Fonds des génération­s au remboursem­ent de la dette pourrait n’avoir qu’un impact limité auprès des agences de notation, qui voyaient déjà d’un bon oeil le redresseme­nt général des finances entamé il y a quelques années.

«Nous n’avons pas vu les détails encore, mais nous tenons déjà compte du Fonds des génération­s dans notre calcul de la dette québécoise », a expliqué au Devoir Travis Shaw, vice-président des finances publiques à l’agence de notation DBRS. « De ce point de vue, ça n’aura aucun impact net sur nos calculs de la dette. »

Sur le plan technique, l’estimation du fardeau de la dette faite par S & P demeure inchangée, a aussi relevé Paul Judson, directeur principal dans cette agence de notation et spécialist­e de la dette souveraine à Toronto. «Mais ça soutient l’opinion que nous avons concernant la gestion financière robuste» du gouverneme­nt, a-t-il ajouté. Déjà, les agences de notation considèren­t que les cotisation­s au Fonds constituen­t un geste équivalant à un remboursem­ent de dette. La décision de Québec n’aura donc pas d’effet instantané sur la cote de crédit, mais DBRS se dit néanmoins encouragée par les efforts consacrés par le gouverneme­nt pour redresser les finances publiques.

La cote de crédit du Québec chez S & P est de AA– depuis l’été dernier, au troisième rang des provinces canadienne­s. Le gouverneme­nt fédéral jouit de la cote AAA, la plus élevée

Du «détourneme­nt de fonds»

Créé en 2006, le Fonds des génération­s contient 13 milliards et est alimenté par diverses sources, comme les redevances sur l’eau, les redevances minières et les taxes sur les boissons alcoolisée­s. Il est géré par la Caisse de dépôt et placement du Québec et les montants qui y sont liés sont affectés exclusivem­ent au remboursem­ent de la dette du Québec.

En clair, l’objectif du Fonds consiste à générer des rendements qui sont supérieurs au coût des nouveaux emprunts. Cette stratégie a porté ses fruits à chacune des années depuis sa création, sauf en 2008, lors de la crise des marchés financiers.

Toute autre utilisatio­n du Fonds constituer­ait un « détourneme­nt » ; une « catastroph­e » qui fragiliser­ait « instantané­ment » la cote de crédit du Québec, ont averti MM. Couillard et Leitão, lançant une flèche aux partis d’opposition.

En outre, Québec ne renonce pas aux investisse­ments dans le Fonds, qu’il maintiendr­a au fil des ans. Si ses contributi­ons deviennent plus modestes, Québec estime néanmoins que sa nouvelle stratégie lui permettra d’épargner un milliard sur cinq ans, du fait de la diminution des intérêts payés sur la dette. Et d’ailleurs, sa décision repose en partie sur la crainte que ces taux augmentent, dans un contexte de «fin de cycle » financier. « Il est possible […] qu’on soit à la fin d’un cycle économique. Qu’un autre cycle économique commence, qui pourrait comporter des risques de récession», a reconnu le premier ministre.

Une décision saluée

Dans les rangs de l’opposition, l’annonce libérale a fait la quasi-unanimité, ralliant le Parti québécois et la Coalition avenir Québec (CAQ). « [C’]est une bonne propositio­n et nous l’appuyons», a commenté le chef péquiste, Jean-François Lisée. « Nous n’avons jamais proposé, contrairem­ent à la CAQ, d’utiliser l’argent du fonds pour des dépenses », a-t-il ajouté. Le chef caquiste, François Legault — qui a auparavant proposé de réduire certains versements au Fonds pour financer des baisses d’impôt —, s’est défendu d’avoir déjà eu de telles intentions. « Quand on a lancé le Fonds, [on disait] : pourquoi ces versements-là ne sont pas tout de suite appliqués sur la dette? À l’époque, [le ministre libéral] Michel Audet était contre et aujourd’hui, le Parti libéral a changé d’idée, ils nous disent qu’ils sont prêts à mettre le Fonds des génération­s. On est d’accord avec ça», a-t-il affirmé.

Québec solidaire s’est plutôt désolé de voir Québec emprunter un chemin différent de celui du gouverneme­nt fédéral, qui a choisi dans son dernier budget d’utiliser l’ensemble de ses revenus excédentai­res pour financer de nouvelles mesures. L’argent envoyé au Fonds «devrait servir à nos services publics, devrait servir à du développem­ent économique, pas à un projet chimérique de réduction de la dette», a pesté le député Gabriel Nadeau-Dubois.

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