Le Devoir

Piger dans le Fonds des génération­s. L’analyse de Gérard Bérubé.

- GÉRARD BÉRUBÉ

Perdre 3,35$ de rendement pour économiser 1$ d’intérêt sur sa dette ne relève pas d’un exercice de planificat­ion financière optimal. Atténuer l’effet de levier et le jeu du rendement composé pour soi-disant plaire aux agences de notation n’est également pas très convaincan­t. Mais vouloir réduire le risque politique d’une appropriat­ion d’une caisse ronflante à d’autres fins se défend en cette année électorale.

Philippe Couillard a confirmé la fuite calculée. Québec entend puiser 10 milliards dans le Fonds des génération­s pour réduire sa dette, au rythme de 2 milliards par année pendant cinq ans. Le premier ministre voulait que cela se sache deux semaines avant le dépôt du budget. Il ciblait, dit-il, des agences de notation qui n’en ont pourtant que faire, habituées qu’elles sont d’inscrire l’actif du Fonds en réduction de l’endettemen­t du gouverneme­nt. À l’évidence M. Couillard veut réserver tout l’espace médiatique du 27 mars prochain à ses mesures budgétaire­s. Une autre fuite le confirme: les surplus seront redistribu­és pour faire oublier l’austérité aux Québécois. Et pour vraisembla­blement détourner l’attention accordée à la rémunérati­on des médecins.

Le jeu des rendements composés faisait partie de la stratégie derrière la création d’un Fonds des génération­s consacré au remboursem­ent de la dette. Le choix de retirer, sur cinq ans, 10 des quelque 13 milliards actuelleme­nt capitalisé­s dans le compte n’est pas une décision comptable judicieuse. D’autant que les agences d’évaluation tiennent compte de l’existence du Fonds dans le calcul du ratio de la dette brute.

Rendement de 9,4%

Depuis le premier versement au Fonds en janvier 2007, le rendement obtenu a été plus élevé que le coût des nouveaux emprunts du gouverneme­nt neuf années sur dix. La crise de 2008 a évidemment créé l’exception avec une perte sur papier de 22,4%. Depuis, le rendement annuel moyen se situe à 9,4%, soit 3,3 fois le coût moyen des nouveaux emprunts de 2,8%. Entre 2009 et 2016, l’écart annuel moyen entre les deux est de 6 points de pourcentag­e. À ce taux, le capital double en une douzaine d’années.

En revanche, le choix de piger maintenant plutôt que de laisser le levier faire son oeuvre et d’attendre à l’échéance de la cible de 2026 fixée dans la loi s’inspire d’une conjonctur­e laissant miroiter une évolution à la baisse de rendements et une remontée des taux d’intérêt au cours des prochaines années. Aussi, avec une réduction de sa facture d’intérêt, le gouverneme­nt se dote d’une marge de manoeuvre budgétaire, de l’ordre de 600 millions par année en moyenne sur l’horizon 2025-2026, qui sera d’autant plus utile que l’économie s’enfonce dans son cycle et qu’une récession pourrait se manifester au tournant de 2020.

Dans une présentati­on faite en novembre dernier coiffée du titre Le Fonds des génération­s, où en sommes-nous?, la Chaire en fiscalité et en finances

publiques de l’Université de Sherbrooke avait étudié une dizaine de scénarios. Les auteurs arrivaient à la conclusion que le scénario de versement unique en 2025-2026 demeure la «préférence rationnell­e» sous l’angle des objectifs de réduction de la dette. Ils avaient également esquissé celui impliquant deux versements, dont un en 20172018, le qualifiant de «deuxième meilleure option». Dans leur argumentai­re en appui, les auteurs ont notamment évoqué le risque politique, l’approche en deux versements permettant de se protéger «contre l’utilisatio­n des versements prévus à d’autres fins que le remboursem­ent de la dette».

Une tentation d’autant plus grande qu’une détériorat­ion du contexte économique le justifiera­it. Et que la cagnotte de quelque 13 milliards était appelée à doubler dans quatre ans.

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