Une loi mourante
Le retour au travail a commencé lundi à l’usine de la compagnie Delastek, à Shawinigan, un des fournisseurs de pièces de la CSeries, où une grève avait été déclenchée le 1er avril 2015, ce qui en avait fait le plus long conflit en cours au Québec.
Au début du mois, le Tribunal administratif du travail (TAT) a dénoncé l’«antisyndicalisme» de la direction de l’entreprise, son «hostilité envers le processus de négociation» et constaté les «contraventions répétées aux dispositions antibriseurs de grève», sans lesquelles l’entreprise n’aurait pas été en mesure de poursuivre ses activités durant tout ce temps.
Se déroulant loin des grands centres, ce conflit a été moins médiatisé que d’autres dans le passé, mais il n’en a pas moins donné lieu à des épisodes dignes de l’époque de Duplessis. Afin d’éviter que des conflits s’éternisent de la sorte, le syndicat Unifor, affilié à la FTQ, a demandé au gouvernement Couillard de resserrer les dispositions du Code du travail, notamment pour faciliter le travail des enquêteurs et faire en sorte que le fardeau de la preuve repose sur l’employeur.
Le premier ministre a opposé un refus catégorique, faisant valoir que la loi québécoise est déjà une des plus restrictives au Canada. Il faut dire que la barre n’est pas très haute. Avec la Colombie-Britannique, le Québec est la seule province à avoir légiféré à ce chapitre. Il y a eu une quinzaine de tentatives pour amener le gouvernement fédéral à interdire le recours aux scabs dans les entreprises qui relèvent de sa compétence, mais elles n’ont jamais abouti.
Les recours à la loi anti-briseurs de grève ont diminué progressivement au cours des dernières années. En 2016-2017, le TAT avait reçu 14 demandes d’ordonnance, par rapport à 27 en 20042005.
Il est vrai que les conflits étaient nettement plus nombreux et violents quand le gouvernement Lévesque avait résolu de manifester concrètement son «préjugé favorable envers les travailleurs» par l’adoption d’une loi qui semblait révolutionnaire à l’époque, mais le marché du travail a lui-même changé considérablement depuis.
À l’été 2010, le premier ministre Jean Charest avait applaudi quand le congrès de l’aile jeunesse du PLQ avait adopté une résolution demandant que la loi soit modernisée pour la mettre à l’heure de l’Internet et du travail à distance. Quelques semaines plus tard, l’Assemblée nationale avait voté à l’unanimité une motion en ce sens.
Si le recours aux briseurs de grève dans sa forme classique existe toujours, comme l’illustre bien le cas de Delastek, le long conflit au Journal de Montréal a parfaitement démontré à quel point les dispositions actuelles de la loi ne correspondent plus à l’intention des législateurs de 1977.
La commission parlementaire qui s’était réunie en février 2011, après deux ans de lockout, avait recommandé de revoir la notion totalement désuète d’«établissement», sur laquelle la loi est fondée. Le patronat, Pierre Karl Péladeau en tête, s’y était férocement opposé. La ministre du Travail de l’époque, Lise Thériault, avait reconnu l’existence du problème, mais n’avait rien fait. M. Couillard ne semble même plus penser qu’il y a un problème.
M. Couillard ne semble même plus penser qu’il y a un problème
Jusqu’à ce que M. Péladeau apparaisse dans le décor, la modernisation de la loi anti-briseurs de grève faisait partie des engagements du PQ, mais elle avait disparu de la plateforme électorale de 2014. Sa démission a permis d’y revenir.
Le programme adopté en septembre 2017 prévoit d’«interdire à un employeur d’utiliser, à l’intérieur où à l’extérieur d’un établissement, les services ou le produit du travail autres que ceux d’un salarié ou d’une salariée faisant partie de l’unité d’accréditation en grève ou en lockout». Sans surprise, le renforcement des dispositions de la loi fait également partie du programme de Québec solidaire.
En revanche, personne n’a jamais soupçonné la CAQ, ni son chef, d’entretenir un quelconque préjugé favorable envers les travailleurs, et encore moins envers les syndicats. Au fur et à mesure que l’élection approche, elle s’évertue à se montrer la moins menaçante possible, mais rien n’indique qu’elle a renoncé au projet de «moderniser» les règles syndicales dont elle a hérité de l’ADQ.
Un de ceux qui pourraient peut-être nourrir sa réflexion est le député de Blainville, Mario Laframboise. En 2009, alors qu’il siégeait à la Chambre des communes sous les couleurs du Bloc québécois, il avait déposé un projet de loi visant à interdire le recours aux briseurs de grève dans les entreprises régies par le Code canadien du travail, comme les banques, la téléphonie ou les télécommunications. Son chef pourra toutefois lui expliquer qu’il n’y a rien de mal à changer d’idée, peu importe le sujet.
mdavid@ledevoir.com