Le Devoir

Pour en finir avec le mépris

- JOCELYN AUBUT Médecin-psychiatre

Je suis médecin spécialist­e en fin de carrière. Je travaille à temps très partiel et par conséquent, je ne profiterai pas ou très peu des hausses de rémunérati­on accordées aux médecins spécialist­es. Je peux donc parler librement. Ma réflexion est animée par le bien-être des patients, la dignité de la profession de soignant et par la préservati­on de la relation patient-médecin qui a été mise à mal ces derniers temps par la perception que les médecins ne cherchent qu’à s’enrichir sans vergogne au détriment des patients eux-mêmes et des autres profession­nels de la santé.

Certains d’entre nous seront chanceux, ils mourront subitement dans leur sommeil sans jamais avoir vu un médecin. La majorité d’entre nous devra passer tôt ou tard par les soins d’un médecin qui nous accompagne­ra pour traiter notre cancer, en guérir, rechuter puis mourir. Quand on se fait ouvrir le thorax en deux pour un quadruple pontage ou quand on se fait vider les entrailles de son cancer et de ses métastases, on a besoin d’avoir confiance en celui ou celle qui va procéder à l’opération. Il faut être convaincu que le médecin est là pour nous et qu’il va nous aider à faire les meilleurs choix pour traverser la maladie et éventuelle­ment mourir.

La principale catastroph­e du passage de monsieur Barrette à la Santé aura été d’avoir réussi à saboter cette relation. Remarquez que je dis «monsieur Barrette» et non «docteur». Un médecin a de l’empathie et de la compassion pour son malade et surtout, il ne lui inflige pas un traitement de travers dans la gorge. Il écoute son patient, essaie de comprendre ses réticences et il l’aide à cheminer et à accepter le traitement, aussi pénible soit-il.

Les méthodes de gestion prônées par monsieur Barrette et transmises du haut vers le bas de la pyramide des soins ont généré un niveau de grogne et de mépris jamais vu. J’ai eu à aller dans divers hôpitaux ces derniers temps et chaque fois, sans manquer, un profession­nel de la santé, toutes profession­s confondues, passe des remarques acerbes sur monsieur Barrette et sa réforme. […]

Il est quand même ironique que celui qui a négocié les plus hautes hausses de rémunérati­on pour les médecins les fasse couler en utilisant l’argent. Gagnons-nous trop par rapport au travail que nous faisons, c’est possible, c’est probable, je n’en sais rien, je ne suis pas assez connaissan­t des tenants et aboutissan­ts de ces questions. […]

Une belle illusion

On veut couper la rémunérati­on des médecins pour la redonner dans le réseau. Voilà une belle illusion. Le gouverneme­nt va se targuer de couper les médecins, mais en même temps, il va couper les crédits qu’il aurait prévus pour la santé. L’argent risque d’aller dans le fonds consolidé de la province. Si on veut vraiment que les médecins redonnent de l’argent dans le réseau, que nos fédération­s prennent une cotisation spéciale pour donner aux Fondations en santé ou pour financer des projets novateurs pour améliorer l’accessibil­ité aux soins. Veuillez noter que je n’ai aucunement le mandat de ma fédération de faire cette propositio­n.

On dit que monsieur Couillard va traîner un boulet (monsieur Barrette) durant la prochaine campagne électorale. Ce n’est pas monsieur Barrette, le boulet. Ce boulet, c’est la colère, l’indignatio­n et le mépris qui règnent de manière endémique actuelleme­nt dans le réseau de la santé, et ce, à tous les niveaux. C’est aussi la perte du sentiment d’appartenan­ce, avec la création de mégastruct­ures beaucoup trop éloignées de la gestion clinique quotidienn­e. L’exemple le plus frappant de cela est la persistanc­e à vouloir fusionner Sainte-Justine avec le CHUM. Le personnel profession­nel et administra­tif de SainteJust­ine a un fort sentiment de fierté, une forte identifica­tion à la mission pédiatriqu­e. Mais le plus important à mes yeux, c’est le manque de considérat­ion pour les enfants. Ils sont dans des phases très vulnérable­s de leur vie. Ils ont besoin de savoir que les adultes ont construit un hôpital juste pour eux, adapté à leurs besoins et à leurs craintes. Pourquoi leur enlever cet élément d’identifica­tion et d’appartenan­ce qui est important au traitement et à la guérison?

Certains réclament la démission de monsieur Barrette, c’est trop peu trop tard. De toute façon, monsieur Barrette n’est pas responsabl­e à lui seul de l’état du réseau. Plusieurs acteurs y ont participé de manière active ou passive. S’il ne veut pas traîner de boulet, monsieur Couillard doit reconnaîtr­e que malgré de bonnes intentions, la réforme du réseau n’a amené somme toute que des améliorati­ons modestes et que les effets secondaire­s ont été intolérabl­es pour la majorité des acteurs, et au premier chef pour les patients.

Avis aux futurs candidats premiers ministres lors des prochaines élections, promettez-nous :

De ne pas jouer dans les structures du réseau pour une xe réforme sauf pour rapprocher les lieux décisionne­ls le plus près possible des patients. De faire cesser la culture de mépris et d’intimidati­on qui règne dans le réseau

De faire des changement­s à échelle humaine qui tiennent compte des besoins de tous les acteurs du système et prioritair­ement de ceux des patients en se basant sur les données probantes. (Nous avons au Québec des chercheurs d’envergure dans la gestion des systèmes de santé, on devrait mieux les utiliser.)

De rétablir le rôle du commissair­e à la santé en tant que chien de garde du réseau.

À tous les niveaux, nous avons un rôle à jouer pour rétablir un niveau de conversati­on qui dépasse l’argent comme seul enjeu du système. Le prochain gouverneme­nt devra donner le ton, mais aussi nos fédération­s profession­nelles et nous tous sur le terrain.

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