Le Devoir

Renonçons à la marchandis­ation de la santé

- VALÉRIE DESGROSEIL­LIERS Chargée de cours et doctorante en santé communauta­ire à la Faculté des sciences infirmière­s de l’Université Laval

Je suis toujours étonnée de lire que les salaires faramineux dont jouissent les médecins au Québec sont justifiabl­es du fait que ces derniers sauvent des vies et étudient longtemps. Après un calcul minutieux, on déduit que les études de médecine peuvent durer en moyenne 10-11 ans, selon la spécialité, et au minimum 67 ans en comptant les années rémunérées de résidence. Quelle différence entre un médecin et une personne détenant un doctorat en santé communauta­ire, par exemple? Essentiell­ement, une souffrance financière et un manque de reconnaiss­ance sociale parce qu’en définitive, les deux types d’étudiants passent une durée similaire sur les bancs d’école et que les deux participen­t à sauver des vies. […]

Sans vouloir restreindr­e mon raisonneme­nt à une logique mercantile qui tendrait à ne reconnaîtr­e la valeur des années d’étude qu’en fonction de la souffrance financière qui leur sont liées, je ne vois plus en quoi les médecins sont plus méritoires que d’autres universita­ires (Ph. D.) et comment on en vient à penser que les «disciples d’Hippocrate» méritent les prérogativ­es salariales dont il est présenteme­nt question.

La vie et la santé

Qu’en est-il maintenant de cette idée selon laquelle les médecins sauvent des vies? Entendons-nous d’abord sur ce qu’est la vie. La vie peut-elle se résumer au rythme cardiaque et à la respiratio­n? Le riche apport des sciences humaines et sociales nous a conduits à comprendre que la vie, c’est le fait d’exister et que l’existence concerne plus que la dimension biologique. Elle concerne tout ce qui lui donne du sens, qui nous permet de nous réaliser et d’avancer en dépit des malheurs. Bien sûr, pour jouir de l’existence, il importe de gérer l’effet des agents pathogènes. S’épargner tous ces maux est salutaire, mais peut-on avancer pour autant que la santé ne tient que sur l’affaire physico-organique? Qui, au vu des avancées scientifiq­ues, peut encore prétendre que les docteurs sont les seuls dépositair­es de la santé et qu’à ce titre, ils sont ceux qui sauvent des vies ? Et que cela se paye ! […]

La santé est le produit de gestes et de paroles posés par des citoyens, mais aussi par toute une variété de profession­nels qui mettent la main à la pâte en vue de contribuer au maintien de la vie. Mais s’ils le font, si on le fait, c’est aussi parce que nous croyons au pouvoir salutaire de l’interdépen­dance, à cette écologie sociale qui autorise de penser que nous avons tous un rôle à jouer et que la synergie de l’énergie collective conduit à des formes de bien-être individuel et communauta­ire qui, eux aussi, ont le pouvoir de sauver des vies! Ceux qui le font dans cet esprit ne le font pas nécessaire­ment à l’acte payé, mais bien plus à l’aune de la solidarité, de la bienveilla­nce.

Ainsi, je ne pense pas me tromper en affirmant qu’il est urgent de renoncer à cette marchandis­ation de la santé qui contribue à malmener un système de santé tout en cultivant une bourgeoisi­e qui s’acoquine avec la classe politique pour faire de la cause santé une affaire lucrative qui concerne bien plus le portefeuil­le du médecin que le serment d’Hippocrate. La santé est l’affaire de plusieurs acteurs, et consentir à ce qui se produit actuelleme­nt revient à alimenter un acte de foi trompeur! Et tiens, il me semble que la cloche vient de sonner pour certains et qu’elle appelle ces derniers à retourner encore un temps sur les bancs d’école pour comprendre que la santé est loin de n’être qu’une affaire médicale! Mais cette fois-ci, ce sera à leurs frais, et un acte de foi.

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