Le Devoir

Les travailleu­ses sociales aussi sont à bout de souffle

- MÉLANIE BOURQUE JOSÉE GRENIER NATHALIE ST-AMOUR Université du Québec en Outaouais–Saint-Jérôme

Dans un article du Devoir, le 13 février dernier, la journalist­e Marie-Lise Rousseau décrit la détresse psychologi­que des travailleu­ses sociales qui évoluent dans le réseau de la santé et des services sociaux québécois. Une recherche menée auprès de 84 de ces profession­nelles nous permet de confirmer les propos de la journalist­e et nous conduit à dénoncer vigoureuse­ment les conditions dans lesquelles elles doivent accompagne­r les personnes parmi les plus vulnérable­s de notre société. Selon nous, le contexte d’exercice de leur profession comporte des risques pour les personnes et les familles pour qui le soutien des travailleu­ses sociales est une nécessité.

Les services sociaux constituen­t le parent pauvre du réseau de la santé au Québec et le rôle des travailleu­ses sociales est peu reconnu. Pourtant, celles-ci intervienn­ent avec des personnes parmi les plus démunies de la société et préviennen­t, dans plusieurs cas, l’aggravatio­n de problèmes sociaux importants. Leur contributi­on au mieux-être de nos concitoyen­s nous apparaît donc essentiell­e.

Pourtant, les 84 travailleu­ses sociales que notre équipe de recherche a rencontrée­s étaient toutes, à des degrés divers, dans des situations de détresse manifeste. Leurs témoignage­s rendent compte du temps dont elles manquent pour intervenir avec les personnes parce qu’elles sont trop occupées à compiler des statistiqu­es et à atteindre des cibles de performanc­e.

Mais il y a pire. Plusieurs travailleu­ses sociales disent travailler dans un climat de tension et de peur de représaill­es si elles n’atteignent pas le niveau de performanc­e attendu. Bon nombre d’entre elles se disent victimes de pressions démesurées faites par leurs supérieurs, qui en sont souvent eux-mêmes victimes. La violence institutio­nnelle existe dans le réseau de la santé et des services sociaux. Un réseau malade de sa gestion appelant à des contre-performanc­es, c’est-à-dire à rendre de moins bons services. Le réseau n’a jamais connu un taux d’absentéism­e aussi élevé qu’actuelleme­nt. Parallèlem­ent aux effets délétères du récent virage, bon nombre de profession­nels quittent le réseau lorsqu’on leur propose une retraite anticipée, ou gagnent le secteur privé.

Une démocratie qui s’étiole

Le Québec s’est doté d’une politique d’universali­té et d’équité en ce qui concerne les services de santé et les services sociaux. Ces valeurs ont guidé la mise en oeuvre d’un réseau et d’un système d’éducation permettant à tous, des plus démunis aux mieux nantis, d’avoir accès aux ressources nécessaire­s au développem­ent de son plein potentiel.

À travers l’histoire des réformes, on remarque toutefois une démocratie décisionne­lle qui s’étiole — le projet de loi 10, il faut le rappeler, a été adopté sous bâillon. Les récentes orientatio­ns ont été pensées par et pour les médecins, et non pour la population. De plus, la gestion du réseau est une gestion de contrôle dans laquelle la population est laissée pour compte en matière d’accessibil­ité aux services: liste d’attente pour des services publics, aidants épuisés, personnes laissées dans des situations à risque, coupes de financemen­t pour les organismes communauta­ires, qualité des services en jeu dans des résidences pour personnes ayant des problèmes de santé mentale.

Pendant que le premier ministre Philippe Couillard et le ministre de la Santé et des Services sociaux Gaétan Barrette négocient des augmentati­ons de salaire faramineus­es pour les médecins, dont certains préférerai­ent voir cet argent réinvesti dans le réseau, les services sociaux et les autres profession­nelles du réseau doivent composer avec des ressources moindres pour intervenir.

Le rendement financier est devenu une obsession qui s’est installée dans le réseau de la santé et des services sociaux avec un pouvoir managérial. Que souhaitons-nous de nos institutio­ns publiques ?

La détresse des travailleu­ses sociales et celle des infirmière­s est le reflet de changement­s politiques et économique­s entraînant la désertion des valeurs sociales et profession­nelles pour qui ces actrices se sont engagées : la cause humaine.

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SHANI MILLER GETTY IMAGES Les travailleu­ses sociales intervienn­ent avec des personnes parmi les plus démunies de la société et préviennen­t, dans plusieurs cas, l’aggravatio­n de problèmes sociaux importants.

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