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L’Institut de la Francophon­ie pour le développem­ent durable : 30 ans d’évolution

- MARIE-HÉLÈNE ALARIE Collaborat­ion spéciale

C’est en 1988 qu’est né l’Institut de l’énergie des pays ayant en commun l’usage du français. Aujourd’hui renommé Institut de la Francophon­ie pour le développem­ent durable, il a un rôle qui s’étend bien au- delà des questions énergétiqu­es. « La

création même de l’Institut de la Francophon­ie pour le développem­ent durable, l’IFDD, et toute son évolution ont été rythmées par l’ordre du jour internatio­nal », lance d’emblée son directeur, Jean-Pierre Ndoutoum. D’abord, ce sont les crises pétrolière­s et leur impact dans les économies des différents pays qui ont présidé à la décision des chefs d’État et de gouverneme­nt réunis au Sommet de la Francophon­ie de Québec en 1987 de créer l’Institut. Ils avaient constaté à quel point les pays en développem­ent étaient complèteme­nt vulnérable­s aux crises pétrolière­s alors que les pays du Nord réagissaie­nt de façon vigoureuse en mettant en place des politiques ou encore des agences de maîtrise de l’énergie. Et c’est Robert Bourassa, alors premier ministre du Québec, qui a voulu que ce premier organisme connu sous le nom d’Institut de l’énergie des pays ayant en commun l’usage du français voie le jour dans la ville de Québec.

À la suite de la conférence de Rio en 1992, « toute la Francophon­ie, et l’Institut en particulie­r, est sensibilis­ée à la question environnem­entale et au développem­ent durable. Et c’est ainsi qu’après quelques années de réflexion, en 1996, la Francophon­ie décide que l’environnem­ent fera dorénavant partie des missions de l’Institut », rappelle son directeur. Plus tard encore, après la rencontre Rio + 20 en 2012, l’Institut ne va plus se limiter à l’action sur l’énergie et l’environnem­ent, mais va étendre cette dernière au développem­ent durable. Et c’est en 2013 que l’organisme deviendra l’Institut de la Francophon­ie pour le développem­ent durable.

Si l’interventi­on de l’Institut est multiforme et si sa cible initiale était les États et les gouver nements, « elle a commencé à évoluer et nous avons multiplié et diversifié les publics par nos actions », précise Jean-Pierre Ndoutoum. Au départ, il s’agissait d’accompagne­r les États dans l’élaboratio­n de politiques énergé-

tiques et par fois dans leur mise en oeuvre. « Au fil du temps, on s’est rendu compte qu’il fallait aller au-delà du public constitué des fonctionna­ires des administra­tions, et nous avons commencé à associer tous ceux qui sont partie prenante de la décision » , ajoute-t-il. Et notamment, cela s’est traduit par des interventi­ons auprès des banques de développem­ent et des ministères autres que le seul ministère de l’Énergie et de l’Environnem­ent. L’action s’est ensuite étendue à la société civile, qui occupe maintenant un pan important de l’activité de l’Institut.

Piliers

Ces actions s’articulent autour de quatre grands piliers qui sont le renforceme­nt des capacités, la mise à dispositio­n et le partage de l’informatio­n, la mobilisati­on de l’expertise francophon­e et, finalement, la réalisatio­n de projets.

« Nous renforçons les capacités humaines et techniques des agents avec lesquels nous travaillon­s et leur capacité institutio­nnelle » , précise le directeur. En fait, l’IFDD permet aux université­s ainsi qu’aux grandes écoles d’offrir des programmes qui correspond­ent aux thèmes et questions chers à l’Institut.

« En matière d’énergie, avec une école de Ouagadougo­u, au Burkina Faso, nous avons mené une formation en efficacité énergétiqu­e », explique le directeur. L’IFDD s’est ici impliqué pour que les étudiants soient formés à cette discipline, et le second objectif est que les bâtiments de l’école deviennent des exemples en la matière. « On a accompagné l’école pendant quelques années et, aujourd’hui, la formation se donne toujours, mais sans nous… Mission accomplie ! » lance fièrement le directeur.

Un projet similaire a vu le jour, cette fois avec une école d’architectu­re de Lomé, au Togo. « Avec l’idée d’amener les architecte­s à concevoir des bâtiments qui sont dès le départ adapté au climat local, nous avons inséré un module de formation à l’école sur des notions de constructi­ons durables et écoénergét­iques, et ce, dès la conception du bâtiment » , explique Jean-Pierre Ndoutoum. Cette formation, l’Institut l’accompagne encore, mais d’ici quelques années, l’école pourra l’assumer elle-même.

Outils d’informatio­ns

Lionelle Ngo-Samnick est la spécialist­e du programme en environnem­ent de l’IFDD et, quand elle parle de mise à dispositio­n de l’informatio­n, elle insiste sur le fait que c’est à l’aide de trois principaux outils que l’Institut y parvient.

Il y a d’abord la plateforme d’informatio­n Médiaterre, mise en place en 2003. « C’est une plateforme participat­ive dans laquelle les animateurs proviennen­t d’un peu partout dans l’espace francophon­e. On y accède grâce à un portail par région ou par thème », explique-t-elle. Ce qui permet à une communauté de contribute­urs de diffuser une informatio­n actualisée sur l’environnem­ent. Cette plateforme est née du constat qu’il y avait peu d’informatio­n sur l’environnem­ent diffusée en langue française à l’époque de sa création. Aujourd’hui, ce sont près de 11 000 membres qui contribuen­t à la plateforme en publiant plus d’un million de dépêches par an. « C’est véri- tablement un outil concret de diffusion de l’informatio­n, où l’Institut constitue une plaque tour nante pour tous les contribute­urs, et ce sont les acteurs francophon­es des organismes, des associatio­ns et les universita­ires qui apportent la matière » , précise Lionelle Ngo-Samnick.

Les publicatio­ns de l’Institut sont un formidable vecteur d’informatio­n. On trouve une revue trimestrie­lle dont chaque numéro traite d’un sujet d’actualité avec un parti pris pour l’environnem­ent : catastroph­es naturelles, migrations environnem­entales, emplois ver ts ou déser tification. D’autres collection­s sont constituée­s d’articles de fond, de guides pratiques ou méthodolog­iques.

Le troisième outil de partage de l’informatio­n est la présence marquée de l’IFDD dans les grandes instances environnem­entales. Il y ouvre son pavillon à toute une série d’événements : « pour débattre, communique­r et partager sur les enjeux de l’environnem­ent », raconte la spécialist­e.

La mobilisati­on de l’expertise francophon­e et la mise en réseau de cette expertise sont un moyen pour l’IFDD de s’assurer que l’environnem­ent est un incontourn­able dans toutes les sphères de l’activité humaine. Par exemple, le projet sur l’évaluation de l’effectivit­é du droit de l’environnem­ent dans les systèmes judiciaire­s des pays francophon­es fait appel aux connaissan­ces de la professeur­e de droit de l’environnem­ent Sophie Lavallée, de l’Université Laval.

« C’est un programme qui est en train de muter pour s’adapter aux enjeux émergents de l’environnem­ent. On part du principe qu’on veut préser ver l’environnem­ent, mais pour le faire, il faut se doter d’outils. L’Institut en a ciblé un certain nombre et, parmi ceux-ci, il y a le droit de l’environnem­ent » , précise Lionelle Ngo-Samnick.

Un droit récent

Le droit de l’environnem­ent est très jeune, parmi les plus récents. Dans sa courte vie, il a déjà beaucoup évolué sur la scène internatio­nale avec des réglementa­tions signées, comme la plus emblématiq­ue, celle de COP21 à Paris. « Malheureus­ement, cela ne se transpose pas toujours dans les législatio­ns nationales, surtout celles des pays du Sud et de l’Afrique francophon­e » , déplore Lionelle Ngo- Samnick. Les universita­ires qui se sont penchés sur cette question ont vite constaté le manque d’indicateur­s pour mesurer la santé environnem­entale d’un État.

Un deuxième volet de ce programme permet de soutenir la formation des magistrats. « Pour pouvoir s’assurer de l’applicatio­n du droit sur l’environnem­ent, il faut que les magistrats soient formés. On ne peut pas demander à un juge de se pencher sur des questions environnem­entales s’il n’est pas au courant des lois ! » af firme Mme Ngo- Samnick. Actuelleme­nt, l’IFDD aide les écoles de magistratu­re à intégrer l’enseigneme­nt du droit de l’environnem­ent dans leur cursus. Des manuels de formation ont été élaborés et l’Institut participe à la for mation de formateurs. « Nous faisons le même exercice avec les ENAP en nous appuyant sur l’ENAP de Québec. Le but est d’introduire dans les formations des futurs administra­teurs les notions de développem­ent durable » , ajoute Jean-Pierre Ndoutoum.

Finalement, un autre mandat de l’IFDD est de mettre en place des projets sur le terrain. Au départ, ces actions avaient vocation de démonstrat­ion. « Il s’agissait de faire connaître aux pays ou aux décideurs tel type de méthodolog­ie ou de technologi­e bénéfique à leur pays » , explique le directeur. Ces actions de démonstrat­ion ont un cer tain impact, mais malheureus­ement, leur mise en place est souvent limitée par la capacité financière de l’Institut.

Aujourd’hui, un programme d’envergure est en voie de réalisatio­n dans les pays de l’Union économique et monétaire ouestafric­aine, l’UEMOA, qui regroupe huit pays et qui est entièremen­t financé par l’Union à hauteur de 4 millions d’euros. Ce programme consiste à établir l’étiquetage énergétiqu­e pour les appareils électromén­agers qui vont entrer dans la région. La mise en place de cette étiquette permet de chasser progressiv­ement les appareils les moins performant­s du marché « et d’empêcher que l’Afrique devienne la poubelle technologi­que du monde » , déclare M. Ndoutoum.

« Le rôle de l’Institut dans l’espace francophon­e n’est pas seulement technique et il dépasse largement la simple langue française. Notre action vise l’équité citoyenne, qui permet un accès à l’informatio­n à tous » , conclut JeanPierre Ndoutoum.

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Le rôle de l’Institut dans l’espace francophon­e n’est pas seulement technique et il dépasse largement la simple langue » française. Notre action vise l’équité citoyenne, qui permet un accès à l’informatio­n à tous.

Jean-Pierre Ndoutoum, directeur de l’Institut de la Francophon­ie pour le développem­ent durable

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INSTITUT DE LA FRANCOPHON­IE POUR LE DÉVELOPPEM­ENT DURABLE L’Institut de la Francophon­ie pour le développem­ent durable a soutenu le projet Adduction d’eau potable à Ambesisika, à Madagascar. Dorénavant, les villageois peuvent bénéficier d’eau potable grâce à la rétrofiltr­ation biologique.
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Lionelle Ngo-Samnick
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Jean-Pierre Ndoutoum

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