Le Devoir

Des projets échappent au « test climat »

- ALEXANDRE SHIELDS

Au moins deux projets industriel­s majeurs directemen­t liés aux énergies fossiles ne seront pas officielle­ment soumis au «test climat » inscrit dans la nouvelle Loi sur la qualité de l’environnem­ent, a constaté Le Devoir. Québec promet toutefois que les enjeux climatique­s seront pris en compte dans l’analyse de ces projets, qui pourraient alourdir le bilan de gaz à effet de serre de la province.

En vertu des nouvelles dispositio­ns de la Loi sur la qualité de l’environnem­ent (LQE), des projets industriel­s seront désormais soumis à un «test climat». Cela signifie que le promoteur devra fournir un rapport de «quantifica­tion» détaillé des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui seraient produites, et ce, « pour chacune des phases du projet ».

Les émissions en «amont» et en «aval» devront aussi être évaluées, «en particulie­r» pour les projets «dont les émissions seraient très élevées et susceptibl­es de poser un risque élevé pour l’atteinte des cibles de réduction de GES du Québec», a confirmé le ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC), par courriel.

À la lumière des données fournies, le gouverneme­nt pourrait exiger des mesures d’atténuatio­n des émissions, une modificati­on du projet, ou alors carrément le refuser.

L’imposition de ce nouveau «test climat», une mesure sans précédent au Québec, entrera en vigueur le 23 mars prochain. Cela signifie que tout projet dont la demande a été déposée au MDDELCC avant cette date échappera aux directives officielle­s du «test climat» inscrit dans la refonte de la LQE, a admis le ministère.

Terminal de carburant

C’est le cas du projet de terminal d’approvisio­nnement de carburant aéroportua­ire à Montréal Est, qui est présenteme­nt évalué par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent

(BAPE). Ce projet comprend un quai de transborde­ment, huit réservoirs d’une capacité totale d’entreposag­e d’environ 164 millions de litres de carburant, mais aussi une installati­on de chargement de wagons-citernes et de camions-citernes.

Lors des audiences du BAPE du mois dernier, Équiterre a d’ailleurs déposé un mémoire qui recommande à l’organisme de « considérer l’impact climatique» du projet de terminal, ce qui supposerai­t de «couvrir notamment la constructi­on, l’opération, la fin de vie et les impacts en amont et en aval associés au projet (y compris les émissions de GES en dehors du Québec) ».

Concrèteme­nt, cela signifiera­it de tenir compte des différente­s phases du transport du carburant (bateaux, trains et camions), mais aussi de son utilisatio­n dans les avions qui décolleron­t de Montréal, d’Ottawa ou de Toronto. Est-ce que ce sera le cas? «Les émissions de GES produites durant la constructi­on et l’exploitati­on du terminal» doivent faire partie «de l’analyse environnem­entale du projet», a simplement indiqué le MDDELCC.

Projet gazier exempté

Un autre projet industriel, beaucoup plus important que le terminal de carburant de Montréal-Est, échappera lui aussi aux dispositio­ns

formelles du «test climat»: Énergie Saguenay. Les promoteurs américains de ce projet prévoient des investisse­ments de 7,5 milliards de dollars pour la constructi­on d’une usine de liquéfacti­on de gaz naturel à La Baie, au Saguenay. Ce gaz, acheminé d’abord au Québec par gazoduc, serait ensuite exporté à bord de méthaniers de type Q-Flex, qui peuvent transporte­r 217 000m3 de gaz. Les exportatio­ns annuelles atteindrai­ent 11 millions de tonnes.

Le plus important projet de transport et d’exportatio­n d’énergie fossile de l’histoire du Québec a reçu la « directive » du MDDELCC pour la production de son étude d’impact en 2015. Et même si GNL Québec admet ne pas être encore à l’étape de la production de cette étude, l’entreprise n’aura pas à se plier aux dispositio­ns du « test climat ». « Dans la mesure où cette directive a été établie avant le 23 mars 2018, cette dispositio­n particuliè­re ne serait pas applicable», a confirmé le MDDELCC.

Au cabinet de la ministre de l’Environnem­ent Isabelle Melançon, on se veut toutefois rassurant. La «directive» du MDDELCC pour l’étude d’impact «mentionnai­t que l’initiateur doit, dans l’analyse des impacts du projet, porter attention, notamment, aux effets du projet sur les grands enjeux de nature atmosphéri­que, dont les gaz à effet de serre et les changement­s climatique­s », a-t-on indiqué.

«La ministre a également le pouvoir d’exiger de l’informatio­n supplément­aire. Par conséquent, lors du dépôt de l’étude d’impact, cet aspect du projet sera analysé en détail par le ministère pour s’assurer que cet enjeu soit bien documenté avant de passer à la phase publique de la procédure d’évaluation environnem­entale», a ajouté le bureau de la ministre Melançon.

La directive transmise aux promoteurs du projet Énergie Saguenay indique effectivem­ent l’obligation d’analyser «les effets du projet sur les grands enjeux de nature atmosphéri­que », dont les GES et les changement­s climatique­s. Mais celle-ci ne donne pas davantage de précisions sur les façons de le faire et ne mentionne pas l’enjeu des émissions en amont et en aval.

Analyse promise

GNL Québec, qui pilote le projet dans la province, promet cependant d’analyser l’ensemble des GES liés au futur terminal méthanier. «En ce qui concerne l’évaluation en amont et en aval, une analyse de cycle de vie du projet sera réalisée. Cette analyse prendra en compte les émissions de la production à l’utilisatio­n», a précisé sa vice-présidente, affaires publiques, Marie-Claude Lavigne.

Quant au gaz naturel qui serait exporté à partir du terminal du futur terminal du Saguenay, l’approvisio­nnement pourrait provenir entièremen­t de l’Ouest canadien, a indiqué Mme Lavigne. Le gaz dit « non convention­nel », dont le gaz de schiste, y représente une part croissante de la production, selon les données de l’Office national de l’énergie.

Pour Patrick Bonin, de Greenpeace, il est impératif que le gouverneme­nt soumette le terminal de carburant de Montréal-Est et Énergie Saguenay à un « test climat » qui évaluerait « l’ensemble du cycle de vie de ces projets ». « Ce test climat devrait également permettre d’évaluer les projets en regard des objectifs climatique­s des gouverneme­nts et de l’Accord de Paris. »

«Même l’Office national de l’énergie avait décidé d’appliquer un test climat pour le projet Énergie Est, propositio­n à laquelle TransCanad­a et l’industrie pétrolière étaient fortement opposés, car ils savaient très bien qu’un véritable test climat serait un échec », rappelle M. Bonin. Le gouverneme­nt Trudeau a aussi décidé de soumettre le projet de pipeline Trans Mountain à un test climat, et ce, une fois l’évaluation environnem­entale bien entamée.

Ce test est d’autant plus pertinent, selon Greenpeace, que le Québec est toujours loin de ses objectifs de réduction de GES. Selon le bilan mi-parcours du Plan d’action 2013-2020 sur les changement­s climatique­s, dont Le Devoir révélait récemment la teneur, les quatre milliards de dollars de fonds publics prévus permettron­t seulement de «stabiliser» les émissions du Québec.

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