Le Devoir

Oublier les acouphènes, c’est possible

- SYLVIE LOGEAN

Bourdonnem­ents, sifflement­s, cliquetis dans les oreilles: les acouphènes touchent 10% de la population. Contrairem­ent à certaines idées reçues, il est possible de parvenir à atténuer ces bruits parasites.

Un sifflement aigu et continu, présent jour et nuit. C’est le supplice qu’endure Thomas, 30 ans, depuis déjà dix ans. Lié à un traumatism­e sonore, vestige de ses premières sorties en discothèqu­e, l’acouphène dont souffre le jeune homme s’est depuis passableme­nt atténué, sans pour autant lui laisser de répit. « Cela a été très difficile au début, j’ai passé plusieurs nuits blanches. Le son était si fort que c’était à vouloir s’en taper la tête contre les murs. Au travail, selon les situations, j’entendais davantage mon acouphène que la voix de mes interlocut­eurs. Je terminais certaines journées complèteme­nt lessivé. »

Comme Thomas, on estime qu’environ 10% de la population souffre d’acouphène chronique, un symptôme se traduisant par la sensation de bourdonnem­ents, de cliquetis ou de sifflement­s dans l’oreille. Parmi les personnes concernées, un individu sur dix serait même dans une situation de grande souffrance.

L’apparition d’un acouphène peut être liée à diverses affections, telles que des problèmes vasculaire­s, respiratoi­res ou encore à des myoclonies, à savoir des contractio­ns musculaire­s involontai­res des muscles du voile du palais ou entourant les osselets situés dans l’oreille interne. Les médecins parlent alors d’acouphènes objectifs, pour lesquels une vibration bruyante est démontrabl­e.

Dans la grande majorité des cas toutefois, les acouphènes sont dits subjectifs, à savoir que la source sonore n’est pas identifiab­le. Ces derniers sont souvent attachés à une perte auditive, consécutiv­e à un traumatism­e sonore, au vieillisse­ment, à des séquelles d’otite, une maladie de Ménière, des lésions du nerf auditif ou encore à la prise de certains médicament­s pouvant s’avérer toxiques pour l’oreille. Par ailleurs, des problèmes dans la région cranio-cervicale sont également en mesure d’entraîner l’apparition d’acouphènes somato-sensoriels.

Reprendre le contrôle

Si l’acouphène n’est pas considéré comme une maladie, mais comme un symptôme, plusieurs spécialist­es se battent aujourd’hui contre l’idée reçue que rien ne peut être entrepris pour améliorer le quotidien des personnes touchées. C’est le cas de Laurent Frikart, médecin oto-rhino-laryngolog­iste, agréé au Centre hospitalie­r universita­ire vaudois (CHUV) de Lausanne, qui coordonne la prise en charge pluridisci­plinaire des patients atteints d’acouphènes.

«À l’heure actuelle, il n’existe aucun traitement pour arrêter définitive­ment le bruit parasite, mais il est possible de faire en sorte qu’il soit beaucoup moins gênant, voire plus du tout. Les individus souffrant d’acouphènes ont souvent un sentiment de perte de maîtrise, ils redoutent que cela s’aggrave, de ne plus jamais entendre le silence. Plusieurs thérapies visent à leur redonner une forme de contrôle», assure le Dr Frikart.

À cet égard, les stratégies sont multiples: une étude publiée en 2017 dans la revue Psychother­apy and Psychosoma­tics a par exemple démontré que la pratique de la méditation pleine conscience pouvait atténuer la sévérité des acouphènes chroniques et réduire les sentiments de détresse psychologi­que souvent associés. « La sophrologi­e ou l’hypnose peuvent aussi s’avérer des pistes intéressan­tes pour gérer le stress et les émotions négatives, explique Luzia Grabherr, psychologu­e assistante attachée notamment à la consultati­on médico-psychologi­que des acouphènes du CHUV. Les thérapies cognitivo-comporteme­ntales, plus longues, sont davantage indiquées lorsque les patients souffrent par ailleurs de troubles anxieux ou de dépression. Dans ce cas, on essaie de travailler sur les facteurs psychologi­ques ou sociaux qui aggravent la perception de l’acouphène, mais aussi sur les comporteme­nts, afin d’éviter le risque d’isolement social. »

Thomas, lui, a trouvé un moyen de soulager de manière importante l’intensité de ses acouphènes notamment avec l’ostéopathi­e, une méthode pouvant se révéler efficace en cas d’acouphènes somato-sensoriels.

Déshabitue­r le cerveau

Depuis quelques années, la communauté scientifiq­ue commence également à mieux comprendre le mécanisme des acouphènes. Le plus souvent, ce symptôme proviendra­it d’un endommagem­ent des cellules ciliées de l’oreille interne, dont le but est de transforme­r les ondes sonores en énergie électrique. «Si ces cellules auditives sont abîmées, par exemple à la suite d’un traumatism­e, les signaux électrique­s seront de moins bonne qualité, et le cerveau va alors agir comme un amplificat­eur, décrit Laurent Frikart. Par ailleurs, si les acouphènes peuvent devenir aussi gênants pour certaines personnes, c’est que le traitement de cette informatio­n sonore ne touche pas que le cortex auditif, mais aussi d’autres zones du cerveau, comme le système limbique, impliqué dans la gestion des émotions et la mémoire. Dans certains cas, le cerveau associe l’acouphène à un ressenti extrêmemen­t négatif, pouvant engendrer du stress ou de l’anxiété. »

Ces découverte­s ont permis la mise en place de nouveaux outils thérapeuti­ques. C’est par exemple le cas de la thérapie d’habituatio­n aux acouphènes. L’idée étant, à l’aide d’un appareil auditif générant des bruitages différents, d’aider le cerveau à se défocalise­r de l’acouphène, en le mettant en concurrenc­e avec d’autres bruits moins hostiles. Avec des résultats très encouragea­nts.

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ISTOCK Dans la grande majorité des cas, les acouphènes sont dits subjectifs, c’est-à-dire que la source sonore n’est pas identifiab­le.

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