Le Devoir

Stratosphé­rique Quatuor de Jérusalem

Une expérience de vie à Montréal

- CHRISTOPHE HUSS

LADIES’ MORNING MUSICAL CLUB Mozart: Quatuor K. 358, «La chasse». Beethoven: Quatuor op. 135. Chostakovi­tch: Quatuor n° 2. Quatuor de Jérusalem. Salle Pollack, dimanche 18 mars 2018.

Qu’est-ce qui est plus haut que l’Everest et quel air y respire-t-on? J’ai peine à décrire ce que nous avons vécu à la salle Pollack dimanche après-midi. Un concert? Pas du tout. Une expérience de vie.

Pendant le Lento assai, cantante e tranquillo de l’Opus 135 de Beethoven, je pensais au légendaire commentate­ur des matchs de soccer en France Thierry Roland. À l’issue de la finale de la Coupe du monde 1998 remportée 3-0 par la France contre le Brésil, il disait en substance: «Maintenant que j’ai vécu cela, je peux mourir.» Ce 3e mouvement, c’était exactement cela. Comment aller plus haut? Que vivre d’autre? L’auditeur ressentait de manière palpable, dans sa chair, la souffrance de Beethoven.

Alors, pourquoi? Pourquoi le Quatuor de Jérusalem est-il si exceptionn­el ? L’idée de l’air qui se raréfie n’est pas innocente. Lorsque l’oxygène est rare, il n’y a pas de place pour le superflu, pour le décoratif, chaque geste doit avoir la bonne intensité.

L’art du Quatuor de Jérusalem procède de cela: dès les premières notes du Quatuor «La Chasse» de Mozart, la fermeté de la matière sonore, même dans les nuances pianissimo­s, est impression­nante, très nourrie. Avec ces quatre musiciens, tout est pensé; tout est précieux.

Une question d’équilibre

L’équilibre chez Jérusalem tient à l’équilibre entre les instrument­s, mais touche aussi les couleurs. À ce titre, le « secret » de la magie de cet ensemble se nomme Ori Kam, un altiste qui pourrait être un soliste mondial. Mais le raffinemen­t va beaucoup plus loin. Et c’est le 2e mouvement, Vivace, de l’Opus 135, de Beethoven qui nous le révèle véritablem­ent.

Ce mouvement vif, tracé à la pointe sèche, apparaît en même temps comme un portrait brossé au fusain. Ici, nous trouvons donc des variations de densité et de textures sonores d’un raffinemen­t extrême. Dans la magie et l’éloquence de ce qui suit, le Quatuor de Jérusalem se pose toujours la question: quel instrument vibre et quel instrument ne vibre pas? C’est ainsi que Beethoven doute puis se met à nous parler.

Cette plongée dans l’intimité d’un compositeu­r se poursuit après la pause dans un grand Quatuor de guerre de Chostakovi­tch. Le Moderato initial n’est pas du tout assorti d’àcoups physiques, mais d’une saturation sonore et harmonique, au sens où Kurt Sanderling abordait Chostakovi­tch (patiemment et en remplissan­t l’espace de sons).

Dans l’Adagio, le violon solo Alexander Pavlovsky crie la douleur du monde (molto espressivo, demande Chostakovi­tch) avant une Valse (avec sourdines) absolument fantomatiq­ue et un Finale d’une densité symphoniqu­e. Tout cela est renversant, bouleversa­nt, gigantesqu­e, inoubliabl­e.

Espérons revoir bientôt le Quatuor de Jérusalem dans cette programmat­ion. Ce sera au mieux pour 2019-2020, car le Ladies’ Morning a fait part de ses invités de la saison prochaine ouverte, le 9 septembre, par le barytonbas­se québécois Philippe Sly, auquel succédera, le 30 septembre, Marc-André Hamelin.

On trouve beaucoup de familiers dans cette 127e saison: le violoncell­iste Pieter Wispelwey, le Trio Setzer-Finckel-Wu Han, le Fauré Quartett. Les Quatuors invités sont les Belcea, les Miro, les Escher et les Artemis. Outre Marc-André Hamelin, le pianiste vedette sera Richard Goode, qui sera à Montréal le 28 avril 2019.

L’équilibre chez Jérusalem tient à l’équilibre entre les instrument­s, mais touche aussi les couleurs

 ?? FELIX BROEDE ?? Avec les quatre musiciens du Quatuor de Jérusalem, tout est pensé; tout est précieux.
FELIX BROEDE Avec les quatre musiciens du Quatuor de Jérusalem, tout est pensé; tout est précieux.

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