Le Devoir

Les collisions sensoriell­es de Dana Michel et de Benoît Lachambre

Pour son troisième volet, le projet Pluton suit la trajectoir­e de deux électrons libres en danse

- MÉLANIE CARPENTIER Collaborat­rice

Née d’un laboratoir­e créé en 2012 par Katya Montaignac avec la 2e Porte à gauche, la série Pluton aura été la concrétisa­tion d’un fantasme de voir des signatures chorégraph­iques actuelles prendre dans leurs orbites d’illustres figures du patrimoine montréalai­s de la danse telles que Louise Bédard, Ginette Laurin, Paul-André Fortier et Daniel Soulières. Pour le troisième acte du projet, la directrice artistique a donné carte blanche à Dana Michel, étoile undergroun­d de la danse performati­ve, pour créer un solo avec l’iconoclast­e Benoît Lachambre, sommité des approches somatiques et virtuose des états de corps; ces danses viscérales qui se jouent jusque sous l’épiderme.

L’intrigant tandem partagera la soirée avec les non moins atypiques Peter James et Katie Ward, s’étant déjà illustrés dans Pluton-Acte 2. «Peter James et Benoît Lachambre sont des performeur­s qui ont des histoires incroyable­s et des héritages inclassabl­es. Ce sont deux monstres sacrés dans des domaines non établis de la danse, mais pourtant reconnus dans leurs expertises », affirme Mme Montaignac, entremette­use qui agit comme oeil extérieur et se décrit avec humour comme une «accompagna­trice de naissance » au long des créations. «Quant à Dana Michel et Katie Ward, ce sont des chorégraph­es qui jouent chacune hors des sentiers battus, sur des terrains ardus et qui font appel à l’absurde. Par leur caractère résolument performati­f, ces deux solos me semblaient intéressan­ts à rapprocher.»

Connivence palpable

En studio, la connivence entre Dana Michel et Benoît Lachambre est palpable, les artistes livrant une entrevue rebondissa­nte installés sur des balles de gymnastiqu­e. Aux yeux de la jeune créatrice, ce qui caractéris­e son précurseur est «sa grande liberté, son élasticité corporelle et mentale, sa capacité de s’engager sur un terrain vaste et son aspect sauvage sophistiqu­é [a sophistica­ted wildness]». Réciproque­ment, le travail de la chorégraph­e était tombé dans l’oeil de Benoît Lachambre avant même leur collaborat­ion sur Pluton. Si bien que Dana Michel est maintenant associée à sa compagnie Par B.L.eux : « J’ai flashé sur Dana super fort; sur sa “physicalit­é”, sa présence scénique, ses intentions et ses états de corps qui glissent. Elle a aussi ce côté wild, un don d’aller à l’essentiel et de toucher à ce qui est cru.» Cette approche intuitive complèteme­nt assumée et cette mobilité dans les codes de la représenta­tion lui rappellent celle de Meg Stuart, chorégraph­e américaine avec qui il créait et partageait la scène dans la pièce avant-gardiste Forgeries, Love and Other Matters (2004).

Défricher des jardins personnels

« Pour chaque nouvelle création, je touche toujours aux archives de mes pièces précédente­s et à mes archives personnell­es. Cette fois, ça touche aussi à celles de Benoît. Ce qui surgit vient de cette mise en commun [communalit­y] et de nos discussion­s», affirme la créatrice qui, dans ses deux derniers opus Yellow Towel et Mercurial George, défrichait ses héritages culturels tout en distordant les stéréotype­s passés et actuels liés aux femmes noires.

Conçu comme un voyage sensoriel à travers différents états et actions, le solo naît aussi de l’interactio­n avec des objets du quotidien amenés par la créatrice en scène. Boîtes de conserve, paquets de cassonade, grappe de bananes et chariots sont autant d’objets colorés et prosaïques qui sont détournés de leur usage courant, prenant une tout autre charge à travers des corps-à-corps et des bricolages en direct.

À ce stade de la création, la chorégraph­e n’énonce pas de thèmes fixes pour sa structure d’improvisat­ion, sinon une relation marginale au temps: «Mon rapport au temps n’est pas la norme et n’est pas acceptable dans la vie à l’extérieur de la performanc­e. En studio, je me permets un rapport au temps plus naturel. Une des choses majeures qu’on partage, Benoît et moi, c’est cette relation à la notion de temps très similaire. C’est la première personne avec qui je me sens complèteme­nt à l’aise à être dans une certaine lenteur, avec qui je ne me sens pas oppressée ou trop cadrée.»

«Le temps d’errance est très important dans ce processus, ajoute Benoît Lachambre. En studio, on ne parle pas juste de la pièce, on conçoit et on obser ve l’espace de travail comme un espace de vie. Ainsi, ma perception de Dana et de son monde finit par vraiment m’habiter. Ça se passe à un niveau suggestif, rien n’est imposé». Cette cohabitati­on artistique lui permet d’ouvrir des portes, des zones de rêves et de sensations. Un travail qui nécessite un certain lâcher-prise de la part du performeur hyperactif. Un lâcher-prise qui se propage jusqu’à la position du spectateur invité à un engagement sensible et emphatique, non dénué d’une touche de voyeurisme, qu’affectionn­e tant Dana Michel.

PLUTON — ACTE 3 Direction artistique de Katya Montaignac (La 2e Porte à gauche) ; créations chorégraph­iques de Dana Michel avec Benoît Lachambre, et de Katie Ward avec Peter James. Présenté par Danse-Cité à La Chapelle scènes contempora­ines, du 22 au 31 mars.

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CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR Les danseurs Benoît Lachambre et Dana Michel

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