La vie par procuration
PHILADELPHIA
HIGH SCHOOL
Texte et mise en scène de Jonathan Caron. Avec Geneviève Bédard, David Bourgeois, Yannick Coderre, Katrine Duhaime, Marie-Ève Groulx, Marina Harvey, Alexandre Lagueux, Simon Landry-Désy, Magali Saint-Vincent et Kevin Tremblay. Une Production L’Escadron Création et Rouge arrête vert passe.
À la salle Fred-Barry, jusqu’au 31 mars.
Starshit, la première pièce de Jonathan Caron — mais coécrite avec Julie Renault, — s’était révélée une satire plutôt amusante et bien ficelée sur l’aliénation de baristas. Cette création explore aussi, d’une certaine façon, la dissolution de l’identité individuelle. Toutefois, dans Philadelphia High School, la caricature paraît franchement brouillonne. Il faut reconnaître que l’auteur débutant, qui cette fois signe aussi la mise en scène, s’est lancé dans une bien ambitieuse entreprise: diriger dix jeunes comédiens dans un univers parodique.
Créée à Fred-Barry, la pièce s’intéresse au désir de vivre par procuration, spécifiquement durant cette période de quête identitaire qu’est l’adolescence. L’imaginaire de ses personnages est colonisé par leur adulation pour une télésérie américaine, Philadelphia High School, dont ils récitent amoureusement, mais dans un mauvais anglais, les dialogues insignifiants. Frustré par l’épisode final de son émission fétiche, le groupe d’adolescents québécois en vient à écrire sa propre version, où ils incarnent eux-mêmes les personnages. Leur vidéo diffusée sur YouTube connaîtra un improbable succès.
La fanfiction, cette populaire façon pour les adeptes d’un univers fictif d’en réécrire la trame, peut être un exercice créatif. Mais ici, les fans vont plutôt s’y immerger au point de brouiller la frontière entre réalité et fiction. Et d’être incapables de renoncer à l’adulation dont ils font désormais eux-mêmes l’objet : «J’étais rien, avant.»
Jonathan Caron n’est hélas guère parvenu à développer sa bonne idée de manière très intéressante — ou cohérente. On pardonnerait ce caractère anodin si la pièce était franchement drôle. Elle fera peut-être rire certains adolescents, si j’en juge par des réactions autour de moi. En ce qui me concerne, le trait parodique m’a paru trop mou, les répliques généralement faibles. Et les nombreux personnages stéréotypés, qui semblent eux-mêmes sortis d’une série pour adolescents états-unienne (jock, fille populaire, gai dans le placard, etc.), insuffisamment définis pour la plupart.
Tant qu’à caricaturer, autant y aller à fond. Il faut attendre la dernière partie, alors que leur avatar a complètement vampirisé (littéralement…) l’identité réelle des jeunes, pour que la parodie fasse vraiment sourire. Visuellement, avec les costumes de Fany Mc Crae et les postures qu’adoptent les comédiens, c’est en tout cas plutôt réussi.
Mais autrement, le spectacle s’étire indûment, au fil de tableaux de groupe plutôt désordonnés, où le jeu d’ensemble semble parfois vouloir compenser par le volume sonore ce qu’il perd en netteté. Pour une pièce désirant illustrer l’emprise de la fiction, celle-ci démontre surtout que ce n’est pas si facile de créer une oeuvre engageante…