Le Devoir

Le Canada en mission au Mali

Le gouverneme­nt est incapable de fournir les détails de son engagement

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

La rumeur courait depuis plus de deux ans, mais voilà que le gouverneme­nt Trudeau vient de la confirmer: il enverra bel et bien un contingent canadien soutenir la mission de paix de l’ONU au Mali. Les détails devront cependant encore attendre. Ottawa n’a pas su préciser le nombre de soldats qui y seront envoyés ni la date exacte de leur déploiemen­t.

Une mission de paix au Mali était dans les cartons du gouverneme­nt libéral depuis longtemps. Mais l’annonce officielle se faisait attendre. Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, est venu la confirmer lundi: deux hélicoptèr­es Chinook et quatre hélicoptèr­es Griffon armés seront dépêchés au Mali pour y soutenir la mission onusienne de maintien de la paix. Un «certain nombre» de soldats seront déployés, a indiqué le ministre, sans préciser combien. La Défense envisage d’en envoyer environ 250. Mais le chiffre officiel devra attendre que l’armée canadienne mène une première mission de reconnaiss­ance. Le gouverneme­nt mise sur un déploiemen­t vers la fin de l’été. Là encore, il faudra patienter avant que soit confirmé le début officiel de la mission, qui durera un an.

Le chef d’état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, a martelé en entrevue avec Le Devoir que l’envoi d’hélicoptèr­es répondait précisémen­t aux besoins de l’ONU au Mali. Une informatio­n corroborée par l’expert en la matière David Perry, de l’Institut canadien des affaires mondiales, qui explique que ce genre d’effectif est plus difficile à recruter pour les Nations unies que des soldats envoyés sur le terrain.

À ceux qui trouvent que le nombre de troupes prévu est timide, le général Vance rétorque que c’est le nombre d’hélicoptèr­es qui importe. Les Chinook pourront transporte­r personnel et matériel, tandis que les Griffon leur fourniront une escorte armée. Le contingent de soldats au sol restera dans la base militaire et ne fera pas de patrouille­s, a dit le général. Ce dernier n’a pas su préciser combien de soldats québécois seront dépêchés dans le pays francophon­e d’Afrique de l’Ouest. Les Chinook sont tous à la base ontarienne de Petawawa, mais les Griffon sont répartis parmi plusieurs bases militaires, dont celles de Bagotville, Valcartier et Saint-Hubert.

Simples relations publiques

L’opposition conservatr­ice a accusé le gouverneme­nt de faire cette annonce à l’improviste, pour faire oublier les problèmes du premier ministre lors de son récent voyage en Inde. La mission est mal ficelée, selon le député James Bezan, qui déplore qu’on ne sache pas quelles seront les règles d’engagement des troupes canadienne­s ni si celles-ci relèveront de l’ONU ou d’un commandeme­nt canadien.

«Soyons clairs: il s’agit ici de l’ambition politique égoïste de Justin Trudeau, qui veut gagner un siège au conseil de sécurité de l’ONU. Et il se sert de nos soldats comme des pions politiques pour ses propres gains personnels», a-t-il accusé.

Or, les Nations Unies et la communauté internatio­nale risquent d’être déçues de l’annonce canadienne, qui ne compte pas un nombre élevé de soldats ni de composante diplomatiq­ue, note Jocelyn Coulon. «C’est en deçà de ce qui avait été promis», a fait valoir le chercheur au CERIUM et ancien conseiller de l’exministre des Affaires étrangères Stéphane Dion. « C’est un pas dans la direction de mettre en oeuvre le slogan libéral de 2015 : “Le Canada est de retour sur la scène internatio­nale”. Mais c’est un petit pas. »

Les libéraux avaient promis il y a deux ans de dépêcher jusqu’à 600 soldats et 150 policiers dans des opérations de paix de l’ONU. L’automne dernier, le gouverneme­nt a gardé le même chiffre, mais a précisé que ses troupes seraient déployées au sein de diverses missions plutôt qu’une seule d’envergure. Le Mali est le second déploiemen­t annoncé par Justin Trudeau, après celui d’une mission aérienne tactique en Ouganda, où Ottawa enverra un ou deux avions de transport pendant un an à compter du mois d’août. Le processus décisionne­l est « très lent », a déploré M. Coulon.

Le néodémocra­te Guy Caron voit d’un bon oeil une participat­ion canadienne à une mission de paix comme celle du Mali, mais il juge aussi que l’annonce libérale «tombe à court de ce qu’ils avaient promis il y a deux ans » puisque le gouverneme­nt n’a même pas précisé les détails de sa mission.

L’ancien ministre libéral des Affaires étrangères Lloyd Axworthy estime néanmoins que l’engagement canadien «démontre aux pays africains que le Canada est sérieuseme­nt engagé envers leur sécurité et l’améliorati­on de leurs gouverneme­nts», a-t-il dit à la CBC.

Le spectre du Rwanda

L’opposition conservatr­ice craint en outre de voir une récidive de la mission de paix au Rwanda, qui avait hanté l’armée canadienne et son général Roméo Dallaire, car celui-ci n’avait pas pu intervenir puisqu’il relevait du commandeme­nt de l’ONU, qui avait refusé tout geste autre que pour la légitime défense.

La mission onusienne MINUSMA au Mali est l’une des plus dangereuse­s; 162 Casques bleus y sont décédés.

Jocelyn Coulon rejette cependant la comparaiso­n avec le Rwanda. L’ONU s’est transformé­e depuis 20 ans, explique-t-il. «On a changé la façon de faire, on a renforcé les protection­s des Casques bleus.» David Perry est du même avis, mais note que la communauté de la défense est préoccupée de savoir de qui relèveront les forces canadienne­s. Le général Vance leur rétorque qu’il «ne cède jamais le commandeme­nt et le contrôle canadien ».

Quant aux risques que comporte une mission au Mali, le chef d’état-major note que seuls 9 des 162 victimes étaient des soldats occidentau­x et que, de ce nombre, quatre étaient liés à des incidents impliquant des hélicoptèr­es, tous causés par des problèmes mécaniques. «Ce n’est pas un environnem­ent où les hélicoptèr­es sont ciblés ni où se trouvent des armes sophistiqu­ées pour les cibler», a indiqué le général. Jocelyn Coulon souligne en outre que la quasitotal­ité des victimes au Mali étaient des membres d’armées mal entraînées, du Sénégal ou du Burkina Faso.

«Nous sommes très au fait des complexité­s et des difficulté­s de la situation au Mali», a pour sa part affirmé la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland. «Notre gouverneme­nt fera tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que les Canadiens offrent une contributi­on de façon aussi prudente que possible. »

Les conservate­urs réclament que le gouverneme­nt soumette ses intentions à un vote aux Communes. Le ministre Sajjan a laissé entendre qu’il ne le ferait pas, puisqu’une mission de paix avait été annoncée en campagne électorale.

 ?? SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE ?? Le chef d’état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, et le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, ont confirmé l’envoi au Mali d’hélicoptèr­es et de troupes au sol.
SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE Le chef d’état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, et le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, ont confirmé l’envoi au Mali d’hélicoptèr­es et de troupes au sol.

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