Le Devoir

Le cordonnier mal chaussé

- MICHEL DAVID

Chaque fois que la perspectiv­e d’un référendum s’éloigne, le PLQ se tourne vers un autre épouvantai­l susceptibl­e d’effrayer sa clientèle: la prétendue menace qui plane sur les droits fondamenta­ux.

Pendant des années, les libéraux se sont érigés en défenseurs de ceux de la communauté anglophone, présentant la loi 101 comme le symbole de notre intoléranc­e collective.

Certes, Robert Bourassa a fait un accroc à la Charte des droits en utilisant la dispositio­n de dérogation pour maintenir temporaire­ment — le temps de remporter une élection — la règle de l’unilinguis­me français dans l’affichage commercial, mais aucun de ses successeur­s n’aurait envisagé un seul instant de s’en prévaloir.

Au cours des dernières années, ce sont surtout les femmes musulmanes qui ont bénéficié de la sollicitud­e libérale. La charte de la laïcité a été à Philippe Couillard ce que la Charte de la langue française avait été à Claude Ryan.

L’automne dernier, il s’est rendu compte qu’il était allé un peu trop loin en voulant étendre l’accusation d’intoléranc­e, qui ne visait jusque-là que le PQ et la CAQ, à l’ensemble de la société québécoise, en créant une commission d’enquête sur le racisme et la discrimina­tion systémique.

Même ceux qu’on tenait pour des gens raisonnabl­es semblent contaminés par l’esprit d’inquisitio­n qui règne au PLQ. Personne n’aurait été vraiment étonné d’entendre Jean-Marc Fournier accuser la CAQ de pratiquer un «nationalis­me ethnique». On ne s’attendait cependant pas à voir un homme comme Carlos Leitão s’abaisser de la sorte.

Cette obsession du respect des droits, qui tourne périodique­ment à l’hystérie, rend d’autant plus étonnante la façon dont le gouverneme­nt Couillard a laissé aller à vau-l’eau la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), dont la gouvernanc­e tourne au film d’horreur.

À peine six mois après être entrée en fonction, sa dernière présidente, Tamara Thermitus, était l’objet de plaintes pour abus d’autorité, mauvaise gestion et manque de respect envers le personnel. Le premier réflexe de la ministre responsabl­e à l’époque, Kathleen Weil, a alors été de lui réitérer sa confiance, disant ne voir «aucune raison » de la lui retirer.

Les problèmes à la CDPDJ étaient cependant bien antérieurs à l’arrivée de Mme Thermitus. Le rapport qu’elle avait ellemême commandé à un consultant extérieur dès sa prise de poste l’a décrite comme un organisme sclérosé, dysfonctio­nnel, mal adapté à la modernité. Il lui faut parfois jusqu’à sept ans pour traiter une plainte qui lui est présentée. De toute évidence, un redresseme­nt s’imposait depuis longtemps.

Même ceux qu’on tenait pour raisonnabl­es sont contaminés par l’esprit d’inquisitio­n du PLQ

Le pire était cependant à venir. Celui que le gouverneme­nt avait choisi pour assurer l’intérim de Mme Thermitus, officielle­ment en congé de maladie, et qu’il destinait à occuper le poste de façon permanente, Camil Picard, a dû démissionn­er en catastroph­e jeudi dernier, quand La Presse a fait état d’allégation­s d’agressions sexuelles sur un mineur qui remonterai­ent aux années 1980, alors que M. Picard dirigeait le centre jeunesse de la Montérégie.

Il est pour le moins troublant de penser qu’il ait pu demeurer directeur d’un centre jeunesse pendant tout ce temps, puis être nommé à la CDPDJ, sans jamais être inquiété. Le gouverneme­nt dispose pourtant de moyens bien supérieurs à ceux des médias pour obtenir de l’informatio­n. Encore faut-il la chercher.

Une plainte contre M. Picard avait été déposée au Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) en 2007. En 2010, il avait cependant versé une somme de 50 000$ à sa présumée victime, de sorte qu’aucune accusation n’avait été portée. Le dossier aurait néanmoins dû être versé dans les bases de données consultées par la Sûreté du Québec lors des vérificati­ons sécuritair­es préalables à toute nomination à un haut poste dans l’appareil gouverneme­ntal. Pour des raisons inexplicab­les, cela n’a pas été le cas.

En 2008, une officière du SPVQ au fait du dossier s’était pourtant inquiétée que M. Picard continue à diriger un centre jeunesse comme si rien ne s’était passé. Elle avait alerté la ministre responsabl­e de la Protection de la jeunesse à l’époque, Lise Thériault, qui avait elle-même consulté les ministères et de la Justice et de la Sécurité publique, puis écrit au président du conseil d’administra­tion du centre jeunesse de la Montérégie. Ce dernier affirme aujourd’hui n’avoir jamais reçu cette lettre.

Le premier ministre Couillard y est allé d’un bel euphémisme en déclarant que le cas de M. Picard révèle un «problème assez profond». Il ressemble aujourd’hui à un cordonnier mal chaussé. Plutôt que d’accuser les uns et les autres de menacer les droits fondamenta­ux, il devrait plutôt veiller à ce que l’organisme chargé d’en assurer le respect soit en mesure de le faire.

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