Le cordonnier mal chaussé
Chaque fois que la perspective d’un référendum s’éloigne, le PLQ se tourne vers un autre épouvantail susceptible d’effrayer sa clientèle: la prétendue menace qui plane sur les droits fondamentaux.
Pendant des années, les libéraux se sont érigés en défenseurs de ceux de la communauté anglophone, présentant la loi 101 comme le symbole de notre intolérance collective.
Certes, Robert Bourassa a fait un accroc à la Charte des droits en utilisant la disposition de dérogation pour maintenir temporairement — le temps de remporter une élection — la règle de l’unilinguisme français dans l’affichage commercial, mais aucun de ses successeurs n’aurait envisagé un seul instant de s’en prévaloir.
Au cours des dernières années, ce sont surtout les femmes musulmanes qui ont bénéficié de la sollicitude libérale. La charte de la laïcité a été à Philippe Couillard ce que la Charte de la langue française avait été à Claude Ryan.
L’automne dernier, il s’est rendu compte qu’il était allé un peu trop loin en voulant étendre l’accusation d’intolérance, qui ne visait jusque-là que le PQ et la CAQ, à l’ensemble de la société québécoise, en créant une commission d’enquête sur le racisme et la discrimination systémique.
Même ceux qu’on tenait pour des gens raisonnables semblent contaminés par l’esprit d’inquisition qui règne au PLQ. Personne n’aurait été vraiment étonné d’entendre Jean-Marc Fournier accuser la CAQ de pratiquer un «nationalisme ethnique». On ne s’attendait cependant pas à voir un homme comme Carlos Leitão s’abaisser de la sorte.
Cette obsession du respect des droits, qui tourne périodiquement à l’hystérie, rend d’autant plus étonnante la façon dont le gouvernement Couillard a laissé aller à vau-l’eau la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), dont la gouvernance tourne au film d’horreur.
À peine six mois après être entrée en fonction, sa dernière présidente, Tamara Thermitus, était l’objet de plaintes pour abus d’autorité, mauvaise gestion et manque de respect envers le personnel. Le premier réflexe de la ministre responsable à l’époque, Kathleen Weil, a alors été de lui réitérer sa confiance, disant ne voir «aucune raison » de la lui retirer.
Les problèmes à la CDPDJ étaient cependant bien antérieurs à l’arrivée de Mme Thermitus. Le rapport qu’elle avait ellemême commandé à un consultant extérieur dès sa prise de poste l’a décrite comme un organisme sclérosé, dysfonctionnel, mal adapté à la modernité. Il lui faut parfois jusqu’à sept ans pour traiter une plainte qui lui est présentée. De toute évidence, un redressement s’imposait depuis longtemps.
Même ceux qu’on tenait pour raisonnables sont contaminés par l’esprit d’inquisition du PLQ
Le pire était cependant à venir. Celui que le gouvernement avait choisi pour assurer l’intérim de Mme Thermitus, officiellement en congé de maladie, et qu’il destinait à occuper le poste de façon permanente, Camil Picard, a dû démissionner en catastrophe jeudi dernier, quand La Presse a fait état d’allégations d’agressions sexuelles sur un mineur qui remonteraient aux années 1980, alors que M. Picard dirigeait le centre jeunesse de la Montérégie.
Il est pour le moins troublant de penser qu’il ait pu demeurer directeur d’un centre jeunesse pendant tout ce temps, puis être nommé à la CDPDJ, sans jamais être inquiété. Le gouvernement dispose pourtant de moyens bien supérieurs à ceux des médias pour obtenir de l’information. Encore faut-il la chercher.
Une plainte contre M. Picard avait été déposée au Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) en 2007. En 2010, il avait cependant versé une somme de 50 000$ à sa présumée victime, de sorte qu’aucune accusation n’avait été portée. Le dossier aurait néanmoins dû être versé dans les bases de données consultées par la Sûreté du Québec lors des vérifications sécuritaires préalables à toute nomination à un haut poste dans l’appareil gouvernemental. Pour des raisons inexplicables, cela n’a pas été le cas.
En 2008, une officière du SPVQ au fait du dossier s’était pourtant inquiétée que M. Picard continue à diriger un centre jeunesse comme si rien ne s’était passé. Elle avait alerté la ministre responsable de la Protection de la jeunesse à l’époque, Lise Thériault, qui avait elle-même consulté les ministères et de la Justice et de la Sécurité publique, puis écrit au président du conseil d’administration du centre jeunesse de la Montérégie. Ce dernier affirme aujourd’hui n’avoir jamais reçu cette lettre.
Le premier ministre Couillard y est allé d’un bel euphémisme en déclarant que le cas de M. Picard révèle un «problème assez profond». Il ressemble aujourd’hui à un cordonnier mal chaussé. Plutôt que d’accuser les uns et les autres de menacer les droits fondamentaux, il devrait plutôt veiller à ce que l’organisme chargé d’en assurer le respect soit en mesure de le faire.