Le Devoir

L’offre alimentair­e, l’oubliée de la semaine

- MYRIAM LEDUC Conseillèr­e syndicale

Un article est sorti récemment où on dépeignait l’expérience d’une famille de quatre qui testait la vie au salaire minimum avec 210$ de budget d’épicerie par semaine. François Lambert, millionnai­re et ancien dragon, s’est mêlé au débat pour dire que c’était facile de faire ses achats pour un montant encore moindre. Dans une entrevue à Denis Lévesque, il pense mettre le doigt sur le «bobo» en disant, en parlant des personnes à faible revenu, qu’«elles achètent des choses qu’elles ne devraient pas acheter».

Si l’éducation alimentair­e influe sur la possibilit­é de faire des choix équilibrés et économes, et ce, pas seulement pour les personnes qui vivent dans la pauvreté mais pour tout le monde, c’est loin d’être le seul facteur qui freine l’accès à une alimentati­on saine et abordable.

Les fruiteries, les marchés et les autres formes d’offres alimentair­es, comme les épiceries en vrac, permettent de réduire les coûts d’alimentati­on. Ces options sont en revanche rarement présentes dans les secteurs avec un haut taux de pauvreté. Au contraire, on parle de déserts alimentair­es pour plusieurs quartiers de Montréal où il est impossible de faire son épicerie dans un rayon raisonnabl­e de la maison et où la seule offre est souvent une grande chaîne, moins entretenue et avec des produits d’une fraîcheur douteuse. Difficile de magasiner les aliments en promotion dans de telles circonstan­ces.

Et si par chance, un quartier pendant 15 années sans offre alimentair­e voit s’établir des commerces de proximité, ces derniers s’installent comme un symptôme de la spéculatio­n foncière, ce qui entraîne une hausse des loyers, comme c’est le cas présenteme­nt dans Hochelaga-Maisonneuv­e. Les personnes qui y habitent au départ sont ainsi de plus en plus repoussées vers les limites de la ville, où l’offre alimentair­e se fait rare. La population qui vit sous le seuil de la pauvreté se trouve donc prise dans un cercle vicieux initialeme­nt engendré par la question du logement.

Comment se rendre à l’épicerie

[…] Pour les quartiers où l’offre est tout simplement inexistant­e, à part les bons vieux dépanneurs, l’utilisatio­n du transport en commun est nécessaire pour aller faire son épicerie, ce qui soulève deux autres problèmes: l’accessibil­ité aux transports en commun d’un point de vue géographiq­ue et les coûts que cela engendre. Une carte de transport en commun coûte désormais 83$ par mois, et cela augmente constammen­t. Cette situation pousse de plus en plus de gens à payer leurs transports en commun à la pièce et à limiter leurs déplacemen­ts à ceux qui sont essentiels. Une personne dans une situation économique précaire ne peut se permettre de dépenser plusieurs titres dans une même journée pour courir les aubaines et transporte­r les nombreux sacs que l’exercice génère.

Pour ceux et celles qui ont une carte mensuelle, le temps nécessaire pour se déplacer de commerce en commerce à la recherche de promotions est non négligeabl­e. Se rendre à l’épicerie à pied prend du temps. En transport en commun, cela prend du temps aussi et engendre des coûts qui viennent s’ajouter à la facture. Dans les deux cas, les aliments achetés sont limités en quantité puisqu’il faut les transporte­r et il devient alors plus difficile de cuisiner en gros.

Lorsque Virginie Larivière, du Collectif pour un Québec sans pauvreté, nous répète que les personnes qui vivent dans la pauvreté n’ont pas le choix, c’est de cette situation complexe qu’elle nous parle. Et pourtant quand on regarde la boîte de croquettes de poulet trop chère dans le panier d’une personne en situation de précarité, on porte un jugement. On se dit qu’au fond, c’est juste une question de choix, et on embarque dans notre «char» avec nos sacs de légumineus­es, on arrive à la maison cinq minutes plus tard, on met notre quinoa à tremper avant d’aller faire un jogging au parc Molson en nous félicitant pour nos saines habitudes de vie.

Il y a un débat à mener sur la question de l’alimentati­on. Il faut s’y attarder d’un point de vue non seulement de santé publique, mais également d’un point de vue de décroissan­ce dans un contexte économique et environnem­ental qui ne pourra soutenir notre consommati­on actuelle encore longtemps. Nous avons la responsabi­lité de revoir notre alimentati­on et de faire les bons choix. Mais cette responsabi­lité est collective et ne doit pas viser une seule frange de la population, soit les personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Au-delà de l’éducation alimentair­e, cela implique de remettre en question une partie de nos infrastruc­tures et de nos façons de faire. Il faut s’attaquer aux racines du problème. Revoir l’alimentati­on de la population, c’est aussi penser aux barrières que l’on érige de façon systémique devant une grande partie de celle-ci.

Pour les personnes qui vivent dans la pauvreté, les défis sont énormes, contrairem­ent à ce qu’avancent certains gérants d’estrade paternalis­tes qui attribuent le problème à une mauvaise gestion de budget. La situation de l’accessibil­ité à l’alimentati­on est une situation imbriquée dans une réalité beaucoup plus complexe, qui comprend l’accessibil­ité au logement, le transport en commun, l’organisati­on du temps et du travail ainsi que les autres offres de biens et de services au sein de nos quartiers. Ces facteurs intervienn­ent directemen­t entre les personnes défavorisé­es et une saine alimentati­on abordable. Ce sont d’ailleurs tout autant de facteurs que nous pourrions éradiquer collective­ment si nous mettions le nez dans nos politiques publiques et revendiqui­ons une meilleure redistribu­tion de la richesse, et ce, à tous les ordres de gouverneme­nt.

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