Le Devoir

Le test d’expulsion

- MICHEL DAVID mdavid@ledevoir.com

Libéraux et convaincus croient avoir trouvé un bon filon en ramenant à l’avant-plan le «test des valeurs» que la CAQ veut imposer aux immigrants, qu’ils ont rebaptisé « test d’expulsion ».

Tout le monde s’y met. Gaétan Barrette accuse la CAQ de vouloir priver le système de santé d’une relève dont il a cruellemen­t besoin. Martin Coiteux s’inquiète pour les entreprise­s des régions qui manquent désespérém­ent de main-d’oeuvre.

Personne n’ose réitérer les accusation­s de «nationalis­me ethnique» portées par Carlos Leitão, mais le «test d’expulsion» est présenté comme sa manifestat­ion. Si le but était de faire perdre patience à François Legault, il faut reconnaîtr­e que c’est réussi.

Sur le plan politique, ce n’était certaineme­nt pas la trouvaille du siècle. On peut penser que M. Legault n’aurait pas fait cette propositio­n si son parti avait été dans une position aussi avantageus­e qu’aujourd’hui. Au printemps 2015, il cherchait désespérém­ent à sortir de la marginalit­é à laquelle le condamnait la polarisati­on autour de la question nationale, qu’avait encore accentuée l’arrivée de Pierre Karl Péladeau.

Au fil des ans, M. Legault a largement démontré sa capacité de mettre les pieds dans les plats. À six mois de l’élection, il n’est cependant pas suicidaire au point de commencer à élaborer un questionna­ire dont le potentiel de dérapage est aussi riche, comme l’a réclamé le premier ministre Philippe Couillard.

Le déferlemen­t d’indignatio­n des derniers jours n’en relève pas moins du théâtre. En réalité, ce test n’a ni les vertus que lui prête la CAQ ni l’odieux que dénoncent ses détracteur­s.

Les discussion­s sur les valeurs soi-disant communes et le degré d’adhésion qu’une société démocratiq­ue peut imposer aux immigrants suscitent des débats un peu partout en Occident. Ces débats sont parfaiteme­nt légitimes, même si les gros sabots de la CAQ s’y prêtent mal.

Même le Canada, dont le multicultu­ralisme constitue une «caractéris­tique fondamenta­le», n’en reconnaît pas moins l’existence d’une communauté de valeurs et exige que les immigrants en soient conscients.

Le site Internet du gouverneme­nt canadien est très explicite: «Pour devenir citoyen canadien, vous devez vous soumettre à un examen des connaissan­ces comme condition à la citoyennet­é. Vous devez répondre à des questions au sujet des valeurs du Canada, de l’histoire du Canada, des symboles du Canada, des institutio­ns du Canada, des droits, des responsabi­lités et des privilèges liés à la citoyennet­é, comme voter aux élections et respecter les lois. »

Dans le Guide d’étude que doivent assimiler les candidats à la citoyennet­é, on retrouve une série de questions auxquelles ils pourraient devoir répondre. Par exemple: «Que signifie l’égalité entre les hommes et les femmes?»

Si les immigrants désireux de s’établir au Canada doivent se soumettre à un examen évaluant leur connaissan­ce des «valeurs canadienne­s», quel mal y aurait-il à s’assurer que ceux qui veulent s’installer au Québec connaissen­t les «valeurs québécoise­s»? Seraient-elles moins nobles?

Pour obtenir la citoyennet­é canadienne, les immigrants doivent aussi se soumettre à un examen oral pour démontrer qu’ils connaissen­t suffisamme­nt une des deux langues officielle­s pour «prendre part à des conversati­ons quotidienn­es courtes qui portent sur des sujets courants, comprendre des instructio­ns, des questions et des directives simples, utiliser la grammaire de base… »

En quoi serait-il scandaleux que le Québec veuille s’assurer lui aussi que les nouveaux arrivants aient une connaissan­ce suffisante du français? Les exigences doivent évidemment être raisonnabl­es. Mercredi, à l’Assemblée nationale, le premier ministre Couillard n’a pu retenir une pointe de malice, disant que certains députés de l’Assemblée nationale ne réussiraie­nt peut-être pas l’examen auquel doivent se soumettre les immigrants qui suivent des cours de francisati­on.

La grande erreur de la CAQ a été d’avoir laissé entendre qu’en cas d’échec, un immigrant pourrait être renvoyé dans son pays d’origine. Cette possibilit­é n’est d’ailleurs évoquée nulle part dans le document intitulé Modèle de la CAQ en immigratio­n. Outre l’aspect humanitair­e de la question, un gouverneme­nt caquiste n’aurait tout simplement pas le pouvoir d’expulser qui que ce soit.

Tant que le Québec fera partie de la fédération canadienne, et M. Legault répète à qui veut l’entendre n’avoir aucune intention de l’en faire sortir, Ottawa est seul habilité à interdire quelqu’un de séjour au Canada.

Un gouverneme­nt caquiste pourrait seulement refuser à un immigrant installé au Québec le certificat de sélection qui, en vertu de l’entente intervenue avec Ottawa en 1991, lui permet d’obtenir le statut de résident permanent au Canada et, après trois ans, de présenter une demande de citoyennet­é.

Échouer à l’examen de citoyennet­é ne fait pas partie des motifs d’expulsion du Canada. On ne renverrait certaineme­nt personne sous le prétexte d’avoir échoué au test de la CAQ.

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