Le Devoir

Une libération qui soulève des questions

Le groupe Boko Haram a rendu à leurs parents une centaine d’écolières enlevées

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Abuja — Une centaine d’écolières enlevées le 19 février par des militants islamistes de Boko Haram à Dapchi, dans le nord-est du Nigeria, ont été ramenées mercredi matin à leur école par leurs ravisseurs, dans des circonstan­ces qui soulèvent de nombreuses interrogat­ions.

Au moins 104 adolescent­es ont été ramenées par des membres de Boko Haram, à bord de neuf camions, aux premières heures de la journée, selon le gouverneme­nt.

Ils les ont «déposées sur la route, d’où elles ont naturellem­ent rejoint leur foyer», a expliqué le ministre de l’Informatio­n, Lai Mohammed.

«La ville a exulté, les gens priaient et tout le monde était très heureux», raconte Alhaji Deri, le père d’une des captives.

Selon des témoignage­s recueillis par l’AFP, certains habitants de Dapchi, petite ville de l’État de Yobe, proche du Niger, ont salué chaleureus­ement les combattant­s à leur arrivée.

Kachalla Bukar, un habitant, raconte que les insurgés «prenaient des photos» avec les gens. « Ils nous ont demandé de ne pas fuir. Et ils nous ont dit de ne pas faire attention à ce qu’allait dire l’armée sur nous.»

«Quand ils nous ont relâchées, ils nous ont dit d’aller directemen­t à la maison et pas chez les militaires, parce qu’ils diraient que ce sont eux qui nous ont sauvées», a raconté Aisha Deri, une jeune fille de 16 ans libérée, avant d’être récupérée par l’agence de renseignem­ents nigériane.

Témoignage­s

Selon plusieurs témoignage­s d’anciennes captives, les combattant­s les ont «gardées dans une pièce » où elles pouvaient cuisiner et n’ont « jamais été maltraitée­s».

«Samedi, ils nous ont dit de monter dans des bateaux. Nous avons passé trois jours sur l’eau et ensuite ils nous ont rassemblée­s dans des véhicules et nous ont dit qu’on rentrait à la maison», a raconté Fatima Gremah, 13 ans.

Selon des témoins contactés par l’AFP avant leur libération, les captives étaient gardées sur des îles du lac Tchad, zone contrôlée par la faction reconnue par le groupe État islamique, auquel Boko Haram a prêté allégeance en 2015.

«Nous avons de la chance parce que nous sommes jeunes et musulmanes », confie Fatima. «Une d’entre nous, qui est chrétienne, est toujours avec eux. Ils ont dit qu’ils la libéreraie­nt si elle se convertiss­ait à l’islam.»

Abou Mosab Al Barnaoui, fils du fondateur de ce groupe islamiste et désigné par le groupe EI pour diriger le mouvement djihadiste en Afrique de l’Ouest, a fait sécession d’Abubakar Shekau en août 2016.

Avec son bras droit Mamman Nur, Al Barnaoui reproche à Shekau des attentats dans les mosquées, des meurtres de civils musulmans et l’utilisatio­n de jeunes filles comme bombes humaines.

Leur faction, active à la frontière avec le Niger et sur les contours du lac Tchad, préfère gagner le soutien de la population locale pour asseoir son pouvoir, et s’attaquer aux objectifs militaires ou étatiques.

Lors du kidnapping des 110 jeunes filles, âgées de 10 à 18 ans, le 19 février dernier, les habitants ont expliqué que les combattant­s s’étaient directemen­t rendus dans l’école.

«Nous entendions de coups de feu», se souvient Aisha Deri. «Nous étions totalement paniquées. Des membres de Boko Haram sont entrés par le portail de l’école et nous ont dit d’arrêter de courir, sinon ils nous tueraient. »

Cinq jeunes filles sont mortes au moment de la prise d’otages, vraisembla­blement dans les camions qui les transporta­ient vers leur lieu de détention.

Une libération «inconditio­nnelle»

Cet enlèvement de masse, qualifié de « désastre national » par le président Muhammadu Buhari, s’est déroulé dans des circonstan­ces quasi identiques au kidnapping de Chibok, en avril 2014, où plus de 200 lycéennes avaient été enlevées, déclenchan­t une vague d’émotion mondiale.

Depuis, une centaine d’entre elles se sont échappées ou ont été libérées aux termes de négociatio­ns avec le gouverneme­nt et d’échange avec des prisonnier­s. Quatre ans après leur kidnapping, une centaine d’entre elles restent introuvabl­es.

Sur son compte Twitter, la présidence nigériane a souligné que cette fois, «aucune rançon n’a été versée». Le ministre de l’Informatio­n, Lai Mohammed, a également martelé que les négociatio­ns avaient été facilitées par des «pays amis» et que leur libération avait été «inconditio­nnelle».

Il a également indiqué que les opérations militaires avaient été suspendues «à certains endroits» pour permettre la remise des otages.

Bien que l’armée et les autorités nigérianes ne cessent de répéter que Boko Haram est «techniquem­ent vaincu», ce tragique épisode a mis en lumière les graves manquement­s sécuritair­es et la facilité avec laquelle les combattant­s peuvent se déplacer en nombre dans le nord-est du pays.

Le conflit dans le nord-est a fait plus de 20 000 morts depuis 2009 et 1,6 million de personnes déplacées.

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