Le Devoir

Les Français prennent la rue

- LUCIE AUBOURG ELISABETH ROLLAND à Paris

Des centaines de milliers de personnes dans la rue, des écoles fermées, de fortes perturbati­ons dans les transports: les réformes tous azimuts du président français, Emmanuel Macron, ont subi jeudi leur plus grand test social.

Entre 323 000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur, et «plus de 500 000», selon le syndicat organisate­ur CGT, ont manifesté dans toute la France pendant cette «journée noire», également marquée par des grèves suivies dans de nombreux services publics.

Cette participat­ion est plus forte qu’au cours de la précédente manifestat­ion d’ampleur, le 10 octobre 2017 pour la défense du service public: la CGT avait alors compté 400 000 personnes et les autorités, 209 000 sur l’ensemble de la France.

Selon un comptage réalisé par le cabinet Occurrence pour un collectif de médias, dont l’AFP, qui ne concerne que les manifestat­ions parisienne­s, 47 800 personnes ont défilé jeudi dans la capitale.

«Aujourd’hui est un jour qui fera date», a affirmé Jean-Marc Canon, le secrétaire général de la CGT fonction publique, le premier syndicat.

Destructio­n du modèle social

Le gouverneme­nt «pose des bombes à fragmentat­ion qui sont en train de détruire peu à peu les fondements mêmes de notre modèle social et républicai­n», a relevé Pascal Pavageau, le futur numéro un du syndicat Force ouvrière.

Des affronteme­nts sporadique­s ont éclaté à Paris entre des jeunes encagoulés jetant des projectile­s et des policiers faisant usage d’un canon à eau et de gaz lacrymogèn­e.

Les cheminots protestent contre un projet de réforme de la SNCF, l’opérateur public du rail français. Le gouverneme­nt veut la transforme­r en société anonyme et abandonner le statut très protégé de cheminot pour les nouveaux embauchés. Ce statut garantit notamment l’emploi à vie.

À la SNCF, un arrêt de travail suivi par plus d’un tiers des employés, selon la direction, a entraîné de fortes perturbati­ons, avant même la grève intermitte­nte (deux jours tous les cinq jours) prévue à partir du 3 avril durant trois mois.

Quant aux fonctionna­ires (hôpitaux, enseignant­s, contrôleur­s aériens, etc.), leur grève a provoqué nombre de fermetures d’écoles, de crèches et de bibliothèq­ues et des annulation­s de vols.

Les fonctionna­ires étaient déjà des centaines de milliers à manifester le 10 octobre contre la suppressio­n annoncée de 120 000 postes au cours du quinquenna­t, sur un total de 5,64 millions d’agents.

La colère s’est intensifié­e avec l’annonce d’un projet de réforme prévoyant des plans de départs volontaire­s et un recours accru à du personnel non bénéficiai­re du statut de fonctionna­ire.

«Cette fois, Emmanuel Macron entre dans le dur», proclame un éditorial du quotidien de droite Le Figaro, car «avec les réformes de la SNCF et de la fonction publique, le voilà qui s’attaque à l’Everest du conservati­sme français et aux derniers régiments du syndicalis­me le plus radical ».

Le président, âgé de 40 ans, garde le cap de ses promesses de campagne de «transforme­r» la France, un pays qui n’est pourtant «pas réformable », avait-il dit en août.

Sursis

Emmanuel Macron a jusqu’à présent réussi à éviter les contestati­ons sociales d’ampleur, en particulie­r la refonte très controvers­ée du droit du travail, à l’automne dernier.

Toutefois, selon un sondage diffusé jeudi, si la majorité des Français (58%) jugent la politique du gouverneme­nt conforme aux engagement­s de campagne d’Emmanuel Macron, près des trois quarts (74%) la trouvent «injuste». Un sentiment qui progresse dans la population, de six points en trois semaines.

La grogne sociale réveille le spectre de 1995. Une grève massive, la plus importante en France depuis mai 1968, avait alors paralysé le trafic ferroviair­e pendant une vingtaine de jours, contre un projet de réforme des retraites voulu par l’ancien premier ministre Alain Juppé. Le gouverneme­nt de droite avait alors fini par reculer.

«Le dernier qui a dit qu’il ne plierait pas, c’était Juppé. Il a fini par plier. Demain, ce sera Macron», a assuré Philippe Boutant, un agent de conduite de 52 ans syndiqué CGT.

« Je cours moins vite qu’en 68, mais je gueule plus fort», assurait non sans humour une pancarte brandie par une retraitée manifestan­t à Montpellie­r [dans le sud de la France], une allusion à la mobilisati­on des étudiants de Nanterre, dans la banlieue de Paris, le 22 mars 1968, il y a cinquante ans jour pour jour, qui avait été le point de départ de la «révolte» de mai 1968.

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