Le Devoir

Avoir tout à gagner à aider des réfugiés

Les marraines des Darwish remportent 444 000 $ au jeu télévisé Face au mur

- LISA-MARIE GERVAIS

Même le plus avisé des scénariste­s hollywoodi­ens n’aurait pas pensé à une telle intrigue. Sur le plateau de tournage d’un jeu télévisé, la famille Darwish saute de joie dans les bras de ses deux marraines, Maude MénardDunn et Rafaëlle Sinave, sous les cris et les applaudiss­ements nourris d’une foule en délire. La raison? Les 444 000$ que les deux amies, qui ont parrainé l’an dernier ces réfugiés syriens, viennent de remporter au nouveau jeu télévisé Face au mur, à TVA. «Il paraît que c’est le plus gros montant à avoir jamais été gagné dans une émission de télévision au Québec», a lancé Maude Ménard-Dunn, encore abasourdie.

Au bout du fil, les deux enseignant­es en travail social flottent sur un petit nuage. «C’est surréalist­e, ça ne t’arrive jamais dans ta vie une affaire de même», poursuit Maude, qui précise que la somme ira pour le démarrage de l’entreprise d’économie sociale qu’elle veut fonder avec sa grande amie Rafaëlle.

Les deux femmes ont hésité à participer à l’émission, mais ce sont les parents Darwish qui les ont convaincue­s d’y aller. Après avoir fui la Syrie sous les bombes, avec leurs trois enfants et leurs deux chats, et après avoir atterri un peu

magiquemen­t au Canada, ils n’avaient pas grand objection à l’exercice. «Feras [le père] m’a fait comprendre que j’étais vraiment folle de laisser aller cette chance», raconte Maude. «Pour tout le monde, c’était de continuer dans le rêve surréalist­e », a renchéri Rafaëlle.

Ça ou… «s’adonner à l’art d’aller chercher de l’argent où il y en a pour financer de bonnes causes», a-t-elle poursuivi. Maude acquiesce. « La valeur de ce que tu fais réside dans l’objectif. Et si c’est aller chercher de l’argent qui va vraiment changer des vies et te permettre de changer les choses, pourquoi pas ? Au pire, ridiculise-toi à la télévision, mais fais quelque chose ! » lance-t-elle en riant.

De rêve surréalist­e…

C’est ainsi que les deux complices se sont retrouvées dans un studio de télévision, à «des kilomètres de [leur] vie réelle » avec « cinq centimètre­s de maquillage dans la face», à devoir jouer à ce jeu de hasard et de culture générale. Ce fut un mois intensif de préparatio­n pour les candidates au gros lot, surtout pour Maude, qui, en plein congé de maternité, a entrepris de tout mémoriser, jusqu’à se farcir le bouquin La culture générale pour les nuls. «Pendant un mois, j’ai réétudié ce que j’avais vu dans ma vie entière», rit-elle. «J’avais même réappris tout mon système solaire et les planètes naines ! »

Le jeu en a finalement valu la chandelle. Et bien au-delà du demi-million remporté. «Inspi- rer des gens. C’est ce qu’on pouvait essayer de faire», croit Rafaëlle, insistant sur la «chance incroyable» de vivre un lien aussi fort avec les Darwish. En attendant que le moratoire sur les parrainage­s soit levé, elle incite les familles québécoise­s à s’impliquer dans les programmes de jumelage de l’une des 14 villes où sont réinstallé­s les réfugiés parrainés par l’État. «Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise tribune pour passer le message. Même si c’est un prétexte un peu farfelu, de divertisse­ment, si ça permet aux familles dans les maisons d’en parler, c’est tant mieux», dit encore cette enseignant­e en travail social au Cégep du Vieux Montréal.

Pou juguler son sentiment d’impuissanc­e face au conflit syrien, elle continue avec d’autant plus de ferveur son engagement. «J’ai besoin de canaliser mes énergies sur quelque chose de constructi­f sur lequel j’ai du pouvoir », confie-t-elle.

… à «Un rêve dans votre assiette»

Ce « quelque chose », c’est « Un rêve dans votre assiette », une entreprise d’économie sociale qui aura comme mission d’aider à l’émancipati­on des femmes réfugiées en leur permettant de vendre le produit de leur cuisine. «On va favoriser une gestion participat­ive et féministe. Oui, c’est faire de la bouffe, mais c’est aussi plus que ça. C’est être avec d’autres femmes de toutes origines, apprendre à parler le français sans qu’il y ait un niveau minimum exigé», a souligné Maude, précisant que le projet est à l’étape de l’étude de marché.

L’idée n’est surtout pas d’enseigner à ces femmes réfugiées à couper des carottes, ce qu’elles peuvent faire mieux que quiconque, mais de leur donner l’occasion de partager entre elles leurs compétence­s et connaissan­ces. «Dans notre manière de voir l’intégratio­n au Québec, il y a beaucoup l’idée que les gens sont des tableaux vides et qu’ils doivent se fondre dans la société d’accueil. On dirait qu’il n’y a pas d’échange, pas d’intérêt à savoir comment ça se faisait dans leur pays», déplore cette mère de trois enfants.

Elle constate que les attentes sont grandes envers les nouveaux arrivants. «Autour de moi, on me demande souvent: “Pis, est-ce qu’ils parlent français ? Ont-ils un travail ?” On met beaucoup de pression sur les réfugiés, comme si l’intégratio­n relevait de leur unique volonté. Mais personne ne semble au courant des obstacles auxquels ils font face. »

Rafaëlle rappelle que ces femmes ne peuvent bien souvent pas s’inscrire à des programmes de réinsertio­n profession­nelle parce qu’elles n’ont pas terminé la 4e ou la 5e secondaire. «Elles ont pourtant beaucoup à offrir», souligne-t-elle. «Je me rappelle que, depuis le début, Marwa [Darwish] dit à quel point elle a hâte d’avoir son propre revenu. »

En attendant, Marwa suit des cours de conduite, pour avoir son permis, comme son mari, qui vient de l’obtenir. Ne leur manquera que la voiture, que comptent bien leur offrir leurs deux fées marraines. «On a vu à quel point ça leur a fait du bien l’été dernier d’aller en voyage en famille et de découvrir le Québec», dit Rafaëlle, faisant allusion à leur petite virée estivale dans Charlevoix. «C’est sûr qu’une partie de cet argent doit leur revenir, on l’a fait ensemble, ce projet-là. »

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