Un scandale révélateur
Le vol des informations personnelles de quelque 50 millions d’Américains et leur détournement à des fins politiques constituent une autre illustration du côté sombre des géants du numérique. Et ce ne sont pas les plates excuses du fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, qui changeront les choses.
Rappelons les faits. Une petite société de consultants politiques, Cambridge Analytica, a été créée en Grande-Bretagne avant d’être enregistrée au Delaware pour des raisons fiscales. Financée par le milliardaire républicain Robert Mercer et comptant parmi ses administrateurs l’ex-conseiller du président Donald Trump Stephen Bannon, Cambridge Analytica entend intervenir dans la campagne présidentielle de 2016.
Pour ce faire, elle acquiert, en 2014, les données personnelles de 270 000 abonnés Facebook compilées par un chercheur qui avait fait croire à une étude universitaire sans informer les abonnés que l’application téléchargée pour l’occasion les livrait en pâture, eux et tous leurs «amis», à une vaste opération de piratage.
Au total, ce sont quelque 50 millions d’Américains qui ont ainsi été espionnés dans le but de créer des profils psychologiques et politiques nécessaires à la conception de publicité et de fausses nouvelles susceptibles d’influencer leur vote.
Devant ces faits, les autorités des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Europe et du Canada ont promis d’enquêter pour savoir si Facebook elle-même a enfreint les lois. Ce qui semble évident, ne serait-ce que parce qu’elle a autorisé le téléchargement de l’application sans s’assurer d’une utilisation conforme au respect de la vie privée.
Selon le New York Times, qui a révélé cette affaire, Facebook connaissait l’existence de cette brèche depuis au moins deux ans, mais elle n’a rien fait.
Au Canada, le gouvernement Trudeau a demandé une enquête au Commissaire à la vie privée, et le premier ministre s’est engagé à discuter de la question lors du G7. Cela dit, il serait surprenant que ce gouvernement fasse quoi que ce soit qui déplaise aux géants du Web américains, à qui on n’ose même pas imposer les mêmes règles qu’à ses propres concitoyens.
Il y a quelques années, le gouvernement Obama avait présenté un projet de loi restreignant davantage la possibilité pour les sociétés comme Facebook, Google ou Twitter de colliger des données personnelles et d’en disposer commercialement. Le projet fut bloqué par la majorité républicaine.
Il est évident qu’en cliquant sur «ACCEPTER» en échange d’un accès gratuit au réseau, chaque utilisateur a sa part de responsabilité. Mais le nombre d’abonnés est aujourd’hui si important et les pouvoirs de ces sociétés si étendus que cette cession de droits dont aucun citoyen normalement constitué ne connaît les tenants et aboutissants ne veut plus rien dire.
Chacune dans leur domaine respectif, ces sociétés sont devenues des monopoles qui contreviennent aux lois antitrust à l’échelle de la planète, une hérésie dans un monde capitaliste. Comme pour Standard Oil en 1911 et Bell System plus tard, il faut faire pression pour briser ces monopoles et soumettre les nouvelles entités à des règles plus strictes au sein de l’OCDE. C’est le seul moyen d’empêcher que ces sociétés plus riches et plus influentes que n’importe quel parti politique se substituent petit à petit aux élus dans l’exercice de la démocratie.